Trois nouvelles, ce n'est pas beaucoup. Elles auront pourtant suffi pour qu'une maison d'édition de référence telle que Présence Africaine accepte de publier sur une simple promesse le premier livre de Jo Güstin. « J’avais posté la lettre le vendredi à la Fourche [une station de métro parisien], ils m’ont appelé le mardi, en disant : "On adore, continuez" », raconte-t-elle. Suite à ce premier contact, Jo Güstin a achevé son recueil, paru en novembre sous le titre 9 histoires lumineuses.
Chez Lis Thés Ratures, la nouvelle « librairie afro-militante » de Boulogne-Billancourt où une soirée lui est dédiée, Jo Güstin accueille le public avec chaleur, les larmes aux yeux. Elle partage la soirée avec Estelle Prudent, une jeune plasticienne qui a choisi de noter les phrases discriminantes qu’elle a entendues sur son parcours. Les billets sont ensuite accrochés sur un mur, disant la difficulté à vivre une identité multiple : femme, noire et lesbienne. Ce projet, qu’elle a appelé « Penses bêtes », est doublé par une série de photographies où qui le souhaite est amené à poser avec une phrase de son choix.
Jo Güstin aborde dans sa présentation la question de la diversité sexuelle. Dans son pays natal, le Cameroun, l’homosexualité reste passible de prison. C'est le thème d'un de ses récits, « Marlène ou la loi », où une fille de ministre camerounaise expatriée aux États-Unis séduit une jeune femme lors d'un séjour au pays. Surprises dans leurs ébats, l'une est ramenée dans sa famille tandis que l'autre est arrêtée par la police. Celle qui ne bénéficie d’aucune protection subit ainsi plusieurs formes de discriminations ou de dominations, ici sexuelle et sociale. Ces pressions conjointes sont analysées depuis longtemps outre-Atlantique avec la notion d’intersectionnalité.
Une écriture-monde
« Je veux être la Wanda Sykes de l'intersectionnalité », s’exclame Jo Güstin, qui a passé du temps aux États-Unis et se réfère volontiers aux humoristes qui, là-bas, apportent un regard subversif sur l’actualité. « Si vous pensez que je suis monolithique, vous n’avez rien compris », ajoute-t-elle avec un délicieux mélange d’accents camerounais et toulousain. Comme si toutes les périodes de sa vie, de l’Afrique centrale au sud de la France, où elle a étudié dès l’âge de quinze ans, l’amenaient à se réinventer. « J’ai vécu à Lille, travaillé en Allemagne, j’ai eu la chance d’avoir des parents ingénieurs, qui m’ont permis d’étudier ».
Jo Güstin est une tenante de la littérature-monde et une insatiable curieuse : « Après avoir vu Jodie Forster parler japonais, je me suis dit : "C’est trop sexy, il faut que j’apprenne cette langue" ». Et pour signifier son goût du mouvement, elle cite Montaigne, un souvenir de prépa : « Je ne peins pas l’être. Je peins le passage ». Le genre de la nouvelle se prête assurément bien à ce genre d’ambition, même si ses histoires débouchent parfois sur une issue fatale ou une vie irrémédiablement gâchée.
Extérieur-jour, intérieur-nuit
On aurait tort cependant de voir une simple antiphrase dans la lumière annoncée dans son titre. Ce qu’éclaire cette jeune femme, ce n’est assurément pas la part la plus aimable de la condition humaine mais bien ses aspects les plus sombres, qu’elle fouille sans complaisance.
Nous suivons ainsi les tragiques aventures d’une adolescente de treize ans que son rêve de vivre à Douala amène brutalement dans le monde de la prostitution. Ou les tribulations d’Innocent, un enfant-soldat de 10 ans au visage d’ange et aux gestes de bourreau. Ou encore le destin implacable d’Ibeji, jeune surdoué accusé d’être un enfant-sorcier.
Si le livre est paru en France, Jo Güstin apporte une grande attention à son accueil dans sa terre d’origine, notamment sur la question de l’homosexualité. « Quand je vois le nombre de coming-out que je reçois du Cameroun aujourd’hui, j’ai envie de dire, c’est vous ma famille ». Si son propos est clairement militant, il est porté davantage par le caractère inaliénable de notre humanité commune que par un parti-pris idéologique.
« Si tu dois te moquer de quelqu’un, c’est de toi », répète-t-elle, alors que pour sa présentation du jour, elle a accroché sur sa veste un badge avec le mot « Star » écrit en grosses lettres. Le public rit de ses boutades, mais elle confie en aparté : « J’ai un tatouage où il est inscrit en Courier New, la typo des scénarios : "extérieur-jour intérieur-nuit" ».