Queue de cheval, tempes rasées et tatouages sur l’avant-bras, Freddy Lim a des airs de rockstar. Et pour cause, c’est le leader d’un groupe de métal célèbre à Taïwan et dans toute l’Asie : Chthonic. Ce qui est en revanche plus surprenant, c’est que ce quadragénaire haut en couleur est aussi député. Sans rien abandonner de ses atours de musicien, il a fait son entrée dans l’hémicycle à l’occasion des élections législatives de 2016.
Fraîchement installé dans ses nouveaux bureaux à deux pas du Parlement, Freddy Lim fait partie des nouveaux visages de la politique taïwanaise, jeunes et modernes. Une génération qui veut avant tout « améliorer le système démocratique » taïwanais. Son parti, le New Power Party, est devenu la troisième force du pays en décrochant 5 sièges sur les 113 que compte le Parlement taïwanais, derrière les deux grandes formations historiques du pays.
Fondé début 2015 par des activistes de la société civile, le parti est issu de la mobilisation étudiante de 2014, le mouvement des tournesols, et se réclame de son héritage direct. « Après les tournesols, j’encourageais les jeunes à s’engager en politique, se souvient Freddy Lim. Puis j’ai compris que ce n’était pas réaliste pour eux. Ils devaient poursuivre leurs études, effectuer leur service militaire, etc. Alors, avec des amis, on a pensé que c’était important de créer un parti, parce qu’ils n’étaient pas prêts. Les années venant, ils vont s’engager et le parti servira de plateforme pour les former, les lancer. »
Printemps taïwanais
A l’origine du mouvement, il y a la tentative du gouvernement de l’époque de faire passer en force un accord de libre-échange avec la Chine. L’examen du texte en 30 secondes par les députés du parti au pouvoir, le Kuomintang, met le feu aux poudres et fait non seulement descendre les étudiants taïwanais dans la rue, mais pousse une centaine d’entre eux, le 18 mars, à pénétrer dans le Parlement et à l’occuper. Ils dénoncent l’ingérence chinoise, le manque de transparence du gouvernement et un déni du système démocratique.
Après 22 jours d’occupation, et des manifestations qui ont rassemblé jusqu’à un demi-million de personnes dans les rues de Taipei, les étudiants quittent l’hémicycle victorieux : le traité ne sera finalement pas voté. Mais si aujourd’hui Lin Fei-Fan, l’une des figures de proue de la mobilisation, considère que cela a été une victoire, c’est aussi parce que « le mouvement des tournesols a durablement changé le rapport des jeunes taiwanais avec la politique. Maintenant, ils pensent pouvoir faire la différence ».
« De nombreux jeunes ont rejoint les instances locales lors des municipales [en novembre 2014], et d’autres encore se sont impliqués dans de nouvelles formations politiques lors des dernières élections, et ça va être de plus en plus important », estime cet étudiant en sciences politiques. Contrairement à beaucoup de ses camarades, Lin Fei-Fan ne s’est pas directement lancé en politique. Mais il n’en a pas pour autant abandonné son activisme, loin de là.
Lors des élections législatives, il a notamment joué les médiateurs entre les nouvelles formations issues du mouvement des tournesols, comme le Social Democratic Party ou le New Power Party, pour tenter de nouer des alliances. S’il a échoué, il ne désespère pas néanmoins « qu’ils arrivent un jour à collaborer » et se félicite de la victoire de cinq députés du NPP. « C’est un bon signe. Ça veut dire qu’il y a une reconnaissance des mouvements sociaux par le fait d’élire des gens qui en sont issus », explique-t-il.
Victoire des progressistes
Les élections de janvier ont été marquées par la victoire de l’opposition, le Parti démocratique progressiste (DPP, centre gauche). Sa présidente, Tsai Ing-wen, a non seulement été élue à la tête du pays mais sa formation a également remporté la majorité absolue au Parlement, dont le Kuomintang, ex-parti unique favorable à un rapprochement avec la Chine, n’avait jusque là jamais perdu le contrôle. Un changement historique que les analystes s’accordent à attribuer au vote de la jeunesse contestataire. Un vote qui a également créé la surprise en permettant au New Power Party de Freddy Lim de faire son entrée au Parlement.
« Du mouvement des tournesols aux résultats des élections, je pense que c’est la même vague » analyse Freddy Lim. « Beaucoup de nos électeurs sont des jeunes qui ne votaient pas et qui, pour une fois, ont voté », estime-t-il. Bien qu’il n’ait pas été l’un des leaders de la mobilisation, il a participé aux activités organisées autour du Parlement, afin de fédérer les manifestants. Et le président du NPP, Huang Kuo-chang, juriste de formation, a agit comme conseiller de l’ombre et éminence grise du mouvement.
Aujourd’hui, les chantiers du New Power Party sont nombreux, comme renforcer les pouvoirs du Parlement, militer pour la reconnaissance de Taïwan sur la scène internationale, lutter pour les droits des aborigènes ou s’attaquer aux biens mal acquis du Kuomintang sous la loi martiale. Mais avant toute chose, Freddy Lim et son équipe se considèrent comme « un pont pour les jeunes » qui vont s'engager en politique dans les années à venir. Le temps que les graines de tournesols portent leurs fruits.
A (RE) ECOUTER → Taïwan: le renouveau démocratique