Afrique du Sud: au Cap, un Noël noir et blanc en couleurs

Entre les décorations lumineuses dans les principales rues du centre-ville et le déferlement de touristes nationaux et étrangers, le Cap s’apprête à fêter un Noël à la mode sud-africaine : les Blancs restent majoritaires du côté Atlantique de la péninsule, tandis que les Noirs et les métis fréquentent les plages plus chaudes de l’océan Indien.

« J’ai toujours rêvé d’un White Christmas, un Noël blanc », s’exclame Veronica Daniels, habitante du Cap, la principale ville métisse d’Afrique du Sud. Alors que les touristes sud-africains arrivent en masse des provinces du nord du pays pour goûter aux plaisirs balnéaires de la cité la plus verdoyante du pays, au cœur de l’été austral, cette mère de famille métisse qui enseigne dans les townships noirs du Cap fait partie de ceux, nombreux, qui s’imaginent un Noël magique et enneigé dans l’hémisphère nord.

Alors que le soleil brille invariablement, tous les jours de l’été, les beaux quartiers du Cap sont fuis par leurs propres habitants durant les fêtes, du moins pour ceux qui en ont les moyens, en raison de l’invasion que subit la ville en cette période de l’année. Les touristes de tout poil, Allemands, Anglais et principalement Sud-Africains s’y pressent dans les galeries marchandes et les casinos, mais aussi sur les vagues de l’Atlantique, pour y pratiquer surf et kite-surf.

L’émergence de la classe moyenne noire est perceptible dans les hôtels bon chic bon genre de la façade Atlantique de la ville, où des familles noires se mélangent aux vacanciers blancs. Dans le sept étoiles One & Only, situé sur le front de mer du centre-ville, où la nuit est facturée quelque 1 400 euros, les stars internationales débarquent, rappeurs américains, vedettes de la télévision britanniques, cherchant luxe, calme et vins sud-africains millésimés.

Musique à plein volume dans les bidonvilles

Alors que la majorité des familles sud-africaines se prépare à fêter Noël en famille, le 25 décembre, autour d’un pique-nique sur l’herbe ou d’un déjeuner de Noël, à l’autre bout de la ville, dans les townships noirs de Guguletu, Langa et Khayelitsha, la fête est déjà constante et totale. De la musique s’échappe à plein volume de chaque « shack », comme on appelle les bicoques faites de tôle ondulée dans les « squatters camps » (bidonvilles) des townships. « Ici, les gens commencent à boire très tôt pendant les fêtes, ils sont ivres dès l’après-midi », note Andile, un jeune résident de ce township qui travaille comme barman dans un grand hôtel du centre-ville. Dès le 16 décembre, jour férié dédié à la « réconciliation » nationale, on célèbre le coup d’envoi de la « festive season », on se défoule de manière ininterrompue pendant plus de quinze jours.

A Khayelitsha, les lieux de regroupement d’une jeunesse branchée et décontractée font le plein. Ainsi, à Rands, un vaste espace à ciel ouvert situé dans la cour d’un bureau de poste désaffecté, des jeunes Noirs, mais aussi quelques métis et des Indiens, avec de très rares Blancs, se retrouvent pour faire la fête au son de la musique en vogue – une house music sud-africaine marquée par les rythmes du kwaito, la dance music festive qui a explosé à la fin de l’apartheid.

Les lieux sont gérés de manière collective par une équipe qui veille étroitement à la sécurité, avec fouille corporelle de rigueur à l’entrée, pour éviter la présence d’armes à feu. Chacun est libre d’apporter sa boisson et son pique-nique, alors que des points de vente écoulent des stocks impressionnants de viande grillée, de bière et de bouteilles de brandy.

« Sentez-vous à l’aise ici, à Khayelitsha »

Dans cette ambiance bon enfant, « l’idée n’est pas de venir pour regarder et critiquer les autres, mais être soi-même et décompresser après une année de travail », note Andile. Une drag-queen dénommée « S. K. », moustache, chemisier léopard, rouge à lèvre et coupe afro, fait des « hugs » (accolades) aux inconnus, en toute tranquillité. La liberté des gays et transgenres est ici respectée, même si tout n’est pas rose dans la nation arc-en-ciel – ce que les fêtards s’appliquent à tenter d’oublier.

A Khayelitsha, le 22 au soir, un jeune rasta militant activement pour l’Alliance démocratique (DA), un parti d’opposition représentant l’électorat blanc et métis en passe de se déracialiser, avec son nouveau dirigeant Musi Maimane, se réjouit de voir des visiteurs blancs dans un café en plein air d’un quartier réputé malfamé. « Merci d’être là, nous allons réaliser notre rêve de nation arc-en-ciel, dit-il. Sentez-vous à l’aise ici, comme je dois me sentir moi aussi parfaitement à l’aise à Constantia. »

Constantia, occupé par de grandes fortunes britanniques et afrikaners, reste l’un des quartiers les plus huppés de la ville, à flanc de la montagne de la Table. Une merveille naturelle dont les townships, qui bordent l’aéroport international du Cap, ne jouissent que d’une vue très lointaine, et de biais. La topographie urbaine et mentale de l’apartheid (1948-1991) est toujours dans les esprits. Mais elle s’estompe un peu plus chaque année, à l’occasion de ces Noëls noirs et blancs en couleurs dont l’Afrique du Sud a l’exclusivité.

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