L'atelier ressemble à une caverne d'Ali Baba pour des inventeurs en herbe. On y trouve des microprocesseurs, des cartes mères d'ordinateurs, des câbles en tous genres, des marteaux, des clous, des vis et jusqu'à un oscilloscope générateur d'ondes ou une guitare. Au fond de la pièce, un tableau est recouvert d'inscriptions : chiffres, symboles, listes de mots ou dessins qui n'ont de sens que pour leurs auteurs. Dans ce décor, un groupe de cinq hackers est en train de revoir un projet environnemental concernant les jardins urbains de Medellin.
Une mini-station météo pour jardins urbains
L'idée est de créer une mini-station météo qui pourrait tenir dans une puce wifi : c'est-à-dire créer une application web capable de réaliser le travail d'une station météorologique mais à l'échelle miniature. Ce projet intitulé « Jardin de la Delicias » deviendrait alors un assistant pour automatiser le traitement des jardins. « On pourra, par exemple, mesurer le taux d'humidité, la température, la quantité de particules dans l'air, mieux comprendre le mal des plantes et ajuster les besoins pour optimiser la croissance des jardins. Le tout pourra tenir dans une main », explique Miguel Vargas, l'un des hackers du projet. Il affirme que la puce, dit module wifi, nécessaire au développement de ce projet, ne coûte que deux dollars pièce. Musicien et hacker, Miguel défend « l'harmonie avec l'écosystème ». Comme il le définit lui-même, ainsi que ses collègues, « un hacker n'est pas qu'un informaticien des services de renseignement ou qui tente de voler des informations ».
Dorkbot : l'expérimentation de l'électricité
Alejo Duque, l'un des fondateurs du collectif, explique que le mot hacker signifie avant tout avoir de la curiosité et réfléchir autrement. « Les origines du collectif viennent du Dorkbot, un réseau sur internet qui réunit des gens qui font des choses étranges avec ou sans électricité. On fait des expérimentations avec des ordinateurs, des vidéos et du son. On a adopté ce réseau pour nous rassembler. Ce que l'on cherche, c'est d'abord le partage de connaissances. C'est pour cela qu'il y a tous les profils ici. Ce hacker-space est ouvert à tous ».
On trouve, en effet, des artistes, des ingénieurs civils, des reporters, des professeurs, des informaticiens, des biologistes. Julian Giraldo est diplômé en ingénierie électronique. « Je me suis orienté vers l'analyse de données, des informations, des statistiques. Je me sens comme un hacker, mais dans sa définition large qui suggère que les hackers sont des personnes qui ont des capacités pour comprendre les dispositifs et les réseaux de communication. C'est comme une forme de pensée que l'on applique pour résoudre des problèmes ».
Le nouveau hacker citoyen
Alejo Duque détaille le principe du collectif :« Tu présentes ton projet pendant dix minutes. Par exemple, ta première programmation, ta base de données, ton programme de visualisation, une antenne que tu as inventée pour écouter un satellite militaire. Après, on échange et on voit la manière de poursuivre le projet ensemble. On collabore en collectif et non en individuel, pour favoriser la création et l'innovation ».
Le collectif Un/Loquer a débuté ses expérimentations en 2003 avec le développement d'un software libre : un réseau local qui pourrait permettre de transmettre des informations gratuites dans la ville, une sorte de radio libre indépendante fonctionnant sans internet, tel un nuage numérique. D'autres projets ont été développés dans cet atelier : les circuits pour les instruments de musique ; des systèmes d'auto-culture, des programmes d'analyse et de visualisation des données ; l'internet des objets (IoT, pour Internet of Things en anglais) avec des capteurs, la conception et la construction de machines (vélos).
Ce phénomène de hacker-space s'est étendu dans d'autres villes colombiennes comme Bogota, la capitale, et Buga, dans le sud du pays. Leurs talents sont mis à profit pour développer les services multimédias et techniques de la ville mais aussi pour monter des projets « d'innovation » pour attirer les clients internationaux. Medellin a été nommée « ville la plus innovante au monde » en 2013. Hacker citoyen ou de la science sociale, un mouvement est en marche.