Dans les faubourgs de Pointe-Noire, avec Alain Mabanckou

Exerçant ses talents depuis 25 ans en tant que poète, romancier et essayiste, l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou s’est fait connaître du grand public en publiant en 2005 Verre cassé, sans doute son roman le plus réussi. Son nouveau roman, Petit Piment, s’inscrit dans cette écriture truculente et ironique qui a fait la renommée de son auteur. L’action se déroule à Pointe-Noire, pays natal et principale source d’inspiration de Mabanckou.

Paru cet automne, Petit Piment, le dernier roman du Congolais Alain Mabanckou est dédié aux « errants de la Côte sauvage » du Congo, rencontrés par l’auteur lors d’un séjour à Pointe-Noire, comme l’indique la dédicace mise en exergue en début de l’ouvrage. Les errants sont des jeunes orphelins, tout comme Petit Piment, personnage au cœur de ce roman éponyme et dont l’auteur raconte la vie avec truculence et ironie qui caractérisent son oeuvre.

Il y a du Dickens dans ce récit poignant, mais surtout beaucoup de littérature africaine qui a souvent donné la parole aux enfants et adolescents afin de pouvoir montrer les dérives africaines à travers des regards décalés et saisissants de vérité. Petit Piment s’inscrit dans l’héritage de L’enfant noir (Camara Laye), d’Allah n’est pas obligé (Kourouma) et surtout du magistral Le Pauvre Christ de Bomba (Mongo Béti), tous devenus des classiques des lettres africaines modernes.

Le saut de la grenouille

De son vrai nom Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko, ce qui signifie en lingala « Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre des ancêtres », Petit Piment a grandi dans l’orphelinat de Loango, à une vingtaine de kilomètres de la grande ville de Pointe-Noire. Son nom , il le doit à Papa Moupelo, le prêtre de l’orphelinat.

Un peu le « chouchou » et le protégé de ce personnage haut en couleurs, le petit Moïse, tout comme les autres enfants, attendait avec impatience la visite hebdomadaire du prêtre. Chaussé de Salamander à grosses semelles et vêtu de large boubou blanc, le petit homme « haut comme trois pommes » était le rayon de soleil dans la vie faite de brimades et d’humiliations de ces enfants abandonnés. Beaucoup d’entre eux avaient été déposés devant la porte de l’orphelinat par leurs familles souvent miséreuses et incapables d’assumer la charge d’une bouche supplémentaire à nourrir, ce qui est le cas du personnage principal.

Nourris, logés et éduqués à la dure, ces enfants ne faisaient pas la fête tous les jours et n’avaient guère l’occasion de rire à gorge déployée comme ils pouvaient le faire avec ce prêtre pas comme les autres, surtout lorsque Papa Moupelo faisait le saut de la grenouille imitant la danse des Pygmées du Zaïre, son pays d’origine !

Un jour, le prêtre n’est plus revenu. Non, il n’était pas mort, mais seulement la révolution était passée par là, en réalité un coup d’Etat militaire qui a transformé le pays du jour au lendemain en un Etat « socialiste scientifique » où l’Eglise, Dieu et la Bible n’avaient plus leur place. Mais pour le directeur corrompu de l’orphelinat, la révolution qui a ramené au pouvoir les gens de sa tribu, c’était l’opportunité rêvée de consolider sa mainmise sur l’institution qu’il dirigeait. Il verrouille l’orphelinat en plaçant aux principaux postes les membres de sa famille et en chassant dehors les adolescents récalcitrants. Avec ses plus proches copains, Moïse se retrouve dans la rue, malgré leur capacité à réciter « sans trébucher les discours du président de la République pendant le cours de conscientisation ».

Une mère maquerelle au grand cœur

La suite du roman raconte les 400 coups de la bande de Loango, leur complicité avec les filles de Maman Fiat 500 - une mère maquerelle au grand cœur - et l’aboutissement forcément tragique de leurs aventures.

Alain Mabanckou est un conteur hors pair : il tisse avec maestria éléments autobiographiques, récits mythologiques, analyses sociales et pages d’histoire de son pays pour raconter dans un style à nul autre pareil l’Afrique contemporaine, sa corruption et sa grâce infinie.

Dans les pages de Petit Piment où les hommes sont soit victimes ou tortionnaires, les femmes s’en sortent mieux. Infirmières, prostituées et autres femmes du peuple, elles portent le poids de la malédiction des sociétés en développement. Elles ont toutes quelque chose de Pauline Kéngué, cette mère trop tôt disparue mais qui n’a jamais vraiment cessé d’habiter son fils devenu romancier, ses rêves comme son vécu.

Difficile de conclure cette chronique sans rappeler l’entrée d’Alain Mabanckou au Collège de France, en tant que titulaire de la chaire de Création artistique. Sa leçon inaugurale, prévue pour le 17 mars, portera sur l’évolution de la littérature africaine moderne dont l’auteur de Petit piment porte les couleurs avec conviction et brio.

Petit Piment, par Alain Mabanckou. Editions du Seuil, 2015, 288 pages, 18,50 euros.

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