« Je lui ai dit que je craignais tout et que je voulais juste être libre », déclare Idha, narratrice et personnage principal de Un mauvais garçon. Cette recherche de liberté qui est aussi une quête sexuelle - mais pas seulement - est le thème de ce récit puissant et original, vibrant de désir et de révolte sociale. C’est le premier roman de l’Indienne Deepti Kapoor, journaliste diplômée de l’université de Delhi.
Mêlant avec brio la première et la troisième personne, le roman raconte l’histoire de la jeune Idha, étudiante à Delhi et double de l’auteure. Cette voix est nouvelle en littérature indienne, résolument moderne, à la fois individualiste et universelle. Orpheline de mère, Idha vit dans les quartiers chics de New Delhi chez Aunty, une amie de sa mère qui l’héberge depuis la disparition brutale de cette dernière. Son père l’a pour ainsi dire abandonnée, avant de partir vivre à Singapour où il a refait sa vie. Pour se racheter aux yeux de sa fille à peine sortie de l’adolescence, il lui a offert une voiture au volant de laquelle Idha sillonne les rues de Delhi. La voiture est impérative car, comme le déclare la narratrice dès l’entrée du roman, Delhi n'est pas « un endroit pour une femme sauf si elle a un mec et une bagnole ou bien une bagnole et une arme ».
« Bildungsroman » à l'indienne
Idha est en train d’étouffer dans la société de classe moyenne prospère de Delhi au sein de laquelle elle évolue, détestant chaque instant de cette vie rangée qui l’empêche de se réaliser. Sa tante veut la marier car telle est la tradition. Idha cherche desespérément une faille, la faille par laquelle elle pourrait enfin s’échapper. Celle-ci se présentera à elle dans un café de la ville, sous l'aspect d’un « mauvais garçon ».
L’homme en question n’est pas l’archétype du « Delhi boy ». « Laid, la peau sombre, le cheveu court et dru, le nez large, épaté, les yeux protubérants, de vraies balises lumineuses, avec de grandes oreilles et une bouche charnue et pleine de dents. Il y a chez lui quelque chose d’animal. Quelque chose de l’éléphant et du singe. Quelque chose du chacal. » Il n’est pas beau, mais c'est justement sa laideur « sexy » qui attire la jeune femme.
On l’aura compris : il ne s’agit guère d’amour romantique dans ces pages, mais d’attraction physique et quasi-animale, de désirs inassouvis. C’est peut-être la première fois que la littérature indienne de langue anglaise dont les auteurs sont issus pour la plupart de la bourgeoisie dominante, ose aborder la question de la sexualité d’une manière aussi frontale et crue, en l’acceptant comme un élément de structuration psychique. Pour Idha, c’est une rencontre capitale qui lui ouvre les portes de la connaissance de soi, à coup de sexe, drogues et mensonges. L’homme l'entraîne dans ses dérives, mais la descente aux enfers n'a jamais été aussi édifiante que dans les pages de ce roman qu'on pourrait qualifier de ce « Bildungsroman » à l'indienne. Le prix à payer sera lourd de conséquences pour la narratrice, voire même tragique.
« L’Inde, c’est l’avenir, l’Amérique, c’est fini »
On lit Un mauvais garçon d'une seule traite, tant la voix est intense. C’est son écriture directe, honnête et sans fioriture qui a fait le succès de ce roman indien pas comme les autres. L’acte sexuel tout comme les séances de transes induites par la consommation de drogues dures sont racontées simplement, avec des mots du quotidien. Des métaphores inattendues viennent parfois renforcer l’effet de sens comme dans la phrase qui suit. « Il m’allonge. Je respire son odeur tandis qu’il se penche sur moi avec ses yeux énormes, pareil à la statue d’un dictateur prêt à basculer. »
Une accumulation de clichés sur l’Inde, son destin et ses paysages affaiblissent la qualité du texte : « L’Inde, c’est l’avenir, l’Amérique, c’est fini », ou encore « je me couvre la tête avec mon dupatta que j’enroule autour de mon front, passe derrière mes oreilles et autour de mon cou afin qu’il encadre bien mon visage, et me voici métamorphosée en une pieuse persane aux yeux noirs ».
Ces quelques faiblesses d’écriture n’empêchent pas que le sentiment de rage de vivre au féminin qui est au cœur de ce roman, accompagne le lecteur longtemps après qu’il a refermé ces pages.
Un mauvais garçon, par Deepti Kapoor. Traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch. Paris, Editions du Seuil, 201 pages. 17 euros.
Extrait
« J'ai essayé à maintes reprises d'écrire tout ça et chaque fois j'ai échoué. Dix ans ont passé. Mots effacés des disques durs, brûlés au creux des fossés, dans une poubelle métallique sur un balcon, pages déchirées sous le coup de la frustration, chiffonnées, roulées en boule et jetées au panier. J'ai essayé d'écrire tout ça, mais m'y suis mal prise. Comment écrire si on est hantée ? Quand on n'est pas le stylo mais la page ? »