De notre correspondante à Pékin,
Quelles sont les causes de l’incendie qui a provoqué les explosions ?
On n’en sait rien pour l’instant, et cela va être très difficile pour les enquêteurs de retrouver des indices permettant de déterminer l’origine de l’incendie qui s’est déclaré dans un entrepôt où étaient stockés des produits à haut risque. La zone est dévastée, imprégnée de produits chimiques.
En revanche, on a une idée de ce qui a déclenché les explosions. Parmi les produits stockés dans l’entrepôt, certains explosent au contact de la chaleur et surtout de l’eau, comme le carbure de calcium. On soupçonne donc les pompiers d’avoir provoqué les explosions en arrosant le feu, alors qu’il aurait fallu utiliser du sable ou de la poudre sèche pour l’étouffer.
A leur décharge, les pompiers n’étaient apparemment pas au courant des types de produits présents sur le site. Ceux qui ont été envoyés pour sécuriser la zone étaient jeunes, de 18 à 20 ans, inexpérimentés, en contrat précaire. D’où la polémique à ce sujet : pourquoi avoir envoyé des pompiers de 2e classe pour éteindre le feu sur un site à haut risque ? Quatre-vingt-cinq soldats du feu sont morts dans les deux explosions.
Le gouvernement était-il au courant que ce site présentait de hauts risques et va-t-il y avoir un renforcement des mesures de sécurité pour d’autres sites ?
Bien sûr, au vu des produits dangereux stockés sur le site, la ville de Tianjin connaissait les risques. Mais elle n’a pas pris les précautions nécessaires. Il y a d’abord cette polémique autour des pompiers. Une brigade spécialisée dans la gestion des produits chimiques aurait dû être chargée de la surveillance du site. Il y a aussi des irrégularités du côté de Ruihai Logistics, la propriétaire de l’entrepôt, dont le travail est de stocker puis de transporter dans des containers des produits dangereux.
D’après l’agence de presse officielle Chine Nouvelle, l’entreprise a opéré sans licence l’autorisant à stocker des produits entre octobre 2014 et juin 2015. Il y a aussi des différences sur la quantité de produits présents dans l’entreprise entre les papiers de l’entreprise et ceux qu’elle a déclarés aux douanes. De plus, elle a installé son entrepôt trop près des premières habitations, sans respecter la distance de sécurité d’un kilomètre prévue par la loi chinoise.
Les témoignages des habitants et d’autres personnes qui avaient loué un bureau près du site, montrent que personne n’était informé de la dangerosité des produits stockés dans l’entrepôt. Dernier élément : des témoignages, cette fois des employés de Ruihai, montrent qu’ils n’ont pas tous reçu de formation pour manipuler des produits chimiques.
Comment Ruihai a-t-elle donc pu opérer malgré toutes ces irrégularités ?
Il semble que l’un des actionnaires de l’entreprise soit le fils de l’ancien chef de la police du port de Tianjin. On pense à la corruption. Il y aura donc un renforcement des mesures de sécurité sur les autres sites. Le président chinois Xi Jinping a déclaré qu’il fallait en finir avec l’insécurité au travail. Que les autorités devaient garder toujours à l'esprit « une croissance en toute sécurité et les intérêts du peuple en première priorité » pour éviter de tels accidents. Il a exigé un meilleur mécanisme de réponse d'urgence, le renforcement de l'application des mesures et des règlements sur la sécurité du travail et des examens minutieux de tous les éventuels risques de sécurité. Car avant Tianjin, d’autres usines ont explosé ces dernières années en Chine. Le port de Tianjin n’est pas un cas isolé.
Sait-on quels produits chimiques ont brûlé, et les fumées présentent-elles un danger pour la santé de la population ?
Selon son site internet, Ruihai stockait dans le même entrepôt six catégories de produits dangereux : des oxydants comme le nitrate de potassium, des inflammables et explosifs comme le carbure de calcium, et le nitrate d’ammonium. Du côté des plus toxiques, il y a du toluène qui, sur le long terme, s’attaque au système nerveux. Il y a aussi le cyanure de sodium dont on a beaucoup parlé. Au contact de l’eau, il se transforme en cyanure d’hydrogène, un gaz qui, s’il est respiré en grande quantité, est fatal.
Les autorités de Tianjin assurent qu’au-delà du périmètre de sécurité de trois kilomètres établi autour du site, respirer l’air est sans danger. Elles diffusent chaque jour les relevés de la qualité de l’air. Mais par précaution, beaucoup d’habitants portent des masques anti-pollution, pas forcément efficaces pour filtrer des gaz toxiques. En fait, il est très difficile de savoir si la population est exposée à un quelque conque risque. Le manque de transparence des autorités est inquiétant à ce sujet.
Quels sont les impacts environnementaux de cet incident ?
Il pleut ces derniers temps sur Tianjin, ce qui ravive les craintes sur la dispersion de la pollution et un nouvel échappement de gaz dans l’atmosphère. Sur le site, la pluie risque de disperser les produits chimiques, de les faire pénétrer dans le sol, voire de les faire exploser.
La pluie était annoncée, les autorités ont donc fini lundi soir 17 août de nettoyer la plus grande partie du cyanure de sodium. Elles ont construit une digue autour du cratère de l’explosion pour ne pas que l’eau s’échappe et au moins 10 000 tonnes d’eau doivent être traitées à nouveau. Du cyanure de sodium a aussi été retrouvé en grande quantité dans les eaux usées autour du site, et en mer dans l’eau du port.