Paris, métro La Chapelle, «Le Radeau de la Méduse»

Sous le métro de Paris, des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants vivent dans des conditions inhumaines. Ces migrants, venus pour la plupart d’Afrique de l’Est, sont dans l’attente de jours meilleurs, mais qui tardent à venir.

La vision rappelle le tableau de Géricault, « Le Radeau de la Méduse », des hommes qui ont tout perdu, qui sont au milieu de rien, mais qui s’accrochent à la vie. Un mini-Sangatte en plein Paris. Une scène difficile à imaginer alors qu’au loin apparaît l’un des sites les plus beaux et les plus touristiques de la capitale, Montmartre et le Sacré-Cœur.

Sous la ligne 2 du métro aérien, entre Barbès et La Chapelle, dans le Xe arrondissement du nord parisien, vivent des centaines de migrants venus pour la plupart d’Erythrée, du Soudan et d’Ethiopie, mais aussi, moins nombreux, des pays du Maghreb. Ils ont fui la guerre, les persécutions, la misère. Personne ne sait combien ils sont exactement, certains disent 250, mais ils seraient au moins le double. Il en arrive de nouveaux presque chaque jour, des rêves plein la tête. C’est un champ de petites tentes vertes en forme de bulles s’étendant sur plusieurs centaines de mètres de bitume, sur l’un des boulevards de la plus belle ville du monde, et qui a commencé à pousser à la rentrée 2014.

Le néant sous les yeux de tous

En plein courant d’air, vivent ainsi des hommes et femmes en transit, ou en attente de papiers, dans le brouhaha du métro au-dessus de leurs têtes et des trains en partance pour la Grande-Bretagne, destination rêvée pour nombre d’entre eux, au-dessous de leurs pieds. Ils sont arrivés souvent seuls, sans bagages. « On m’avait dit qu’il y avait un camp de migrants au nord-est de Paris, alors je suis venu, raconte dans un arabe approximatif un jeune Marocain de 23 ans, arrivé de Meknes il y a un mois. Calais c’est trop dangereux et la vie est dure là-bas ». C’est en tout cas, pour les Parisiens et les touristes qui découvrent le campement, une épreuve de survie qui se déroule sous leurs yeux. « On mange quand les riverains nous apportent des choses, ou des associations. On ne peut pas cuisiner ici de toute façon, il n’y a rien. »

En effet, c’est le néant. L’odeur âcre de l’urine donne des nausées, les détritus s’amoncèlent autour des habitations de fortune, le bruit qui rend fou, c’est le lot quotidien de ceux qui survivent ici. Les quelques sanisettes mises en place par la mairie sont trop peu nombreuses, elles débordent de toutes parts. Mais on s’habitue à tout. Il faut se rendre dans le petit parc d’à côté pour avoir accès à un point d’eau, en prenant garde où l’on met les pieds : des bouteilles de plastique pleines d'urine roulent sur le sol.

« On n’a plus d’espoirs, on ne sait pas ce qu’on va devenir, confie un jeune Soudanais. Je ne parle même pas français, ni anglais, comment pourrais-je me renseigner pour obtenir des papiers ? » Très peu en effet sont ceux qui parlent une autre langue que la leur, à peine quelques mots d’anglais pour certains. Et son amie, le visage d’une rare beauté, de rénchérir : « Je suis arrivée avec mon fils de cinq ans après un voyage douloureux, j’ai vu des hommes tomber du bateau qui nous amenait depuis la Libye vers l’Italie. J’ai vu la mort dans mes yeux. Je pensais qu’en arrivant, ce serait la fin de notre calvaire ». Il n’en a rien été. Le vacarme du métro qui passe, toutes les deux minutes, l'oblige à se taire. « Il est où le respect ? Elle est où la patrie des droits de l’homme ? », se demande-t-elle en frottant ses yeux fatigués par le manque de sommeil. Les nuits sont courtes, le métro ne s’interrompt que quelques heures. Et puis « même si nous sommes solidaires entre nous ici, poursuit la jeune femme, parfois nos tentes sont pillées du peu de choses que nous avons ».

La vie continue...

Et malgré toute cette misère humaine, la majorité des migrants reste digne. Ils vivent. Le camp pourrait être L'Olympe des infortunes de Yasmina Khadra : un monde où les plus démunis ne sont pas moins malheureux et beaux, et intelligents. Sous ce métro infernal, la solidarité est bel et bien là, palpable, une fraternité sincère entre Africains, entre musulmans, entre migrants et riverains. Le partage et l'entraide donc, mais aussi la joie, celle d'écouter de la musique, celle de rire ensemble. Comme ces deux jeunes filles aux yeux pétillants qui tuent le temps en se tressant les cheveux, étendues sur des matelas. Celui qui, venu de l'extérieur, va à la rencontre de ces hommes et de ces femmes, n'en sort pas indemne. L'accueil est chaleureux, les sourires fusent de toutes parts, les mains se serrent, l'amour déborde. Des instants de bonheur qui n'ont pas de prix, qui autorisent à penser que ce « Radeau de la Méduse » n'est pas si effroyable que l'image qu'il donne, que même ceux qui sont blottis sous des couvertures miteuses à se reposer sont peut-être en train de rêvasser, à La Chapelle ou à un ailleurs.

Des autorités impassibles ?

Beaucoup de ces hommes et femmes de tous âges veulent poursuivre le voyage, vers l’Angleterre, la Belgique, l’Europe du Nord...  Alors certains s’en remettent à Dieu, d’autres noient leur chagrin dans l’alcool. Tous attendent une réaction des pouvoirs publics sur leur sort. Face à l’ampleur que prend le camp, la mairie a demandé à l’Etat d’agir et de l’évacuer, en tenant compte de la situation de chacun des migrants. Nombre d'entre eux relèvent du droit d’asile et devraient être mis à l’abri. Mercredi soir 27 mai, le préfet de police a confirmé une prochaine évacuation du site pour raisons sanitaires.

Sur le parapet qui fait face au métro, un jeune couple palabre, souriant, au milieu de cette ébullition parisienne. Elle est d’une maigreur à couper le souffle mais tous les signes du bonheur apparaissent sur son visage quand elle caresse son ventre arrondi. Un signe d'espoir au cœur de ce naufrage d'infortunés.

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