Après Les Blancs ne savent pas sauter, un film américain sur le basket-ball avec les acteurs Wesley Snipes et Woody Harrelson, on pourrait faire un remake qui s’appellerait « Les Kényanes ne savent pas sauter ». Cette suite parlerait de volley-ball et elle tordrait le cou à un autre cliché : celui selon lequel les Kényan(e)s sont juste bon(ne)s à la course à pieds.
Le Kenya, superpuissance du volley féminin en Afrique, s’apprête à accueillir le championnat continental (10-21 juin à Nairobi) pour la cinquième fois au cours des dix dernières années. « Le volley-ball est le deuxième sport collectif le plus populaire au Kenya, après le football », affirme Jane Wairimu, qui évoluait cette saison à Chamalières, dans le centre de la France, avec sa compatriote Brackcides Khadambi. « Les joueuses de volley comme nous sont des célébrités au Kenya », ajoute-t-elle.
Brackcides Khadambi complète : « La Confédération africaine de volley-ball aime le Kenya, parce que les Kényans adorent le volley-ball et soutiennent les joueuses. A chaque fois qu’ils organisent le Championnat chez nous, ils constatent que nous avons beaucoup de fans, surtout si on compare avec d’autres pays d’Afrique. »
Une réputation à construire
De fait, les Kényanes sont les reines du continent. Elles ont remporté huit Championnats d’Afrique sur seize, depuis la première édition en 1976. Et les clubs phares du pays, Kenya Prisons, Kenya Pipeline et Kenya Commercial Bank SC, jouent constamment les premiers rôles lors des coupes d’Afrique.
Pourtant, la réputation des joueuses kényanes est loin d’avoir franchi les frontières africaines. « Les gens pensent qu’on est juste bonnes à la course et en rugby (à VII) », soupire Jane Wairimu. « Lorsqu’ils nous voient la première fois, ils demandent "est-ce que tu cours ?", raconte Brackcides Khadambi. Lorsqu’on leur répond qu’on joue au volley-ball, ils disent : "Ah, je savais que les Kenyans étaient bons en athlétisme" ».
Même dans le monde du volley, les Kényanes suscitent la stupeur. « Lorsqu’on participe à la Coupe du monde, les gens disent : "Oh, il y a une bonne équipe en Afrique !". Ils ne s’y attendent pas. Ils ne savent pas que les Africaines jouent bien au volley-ball. »
Une filière inexploitée
Cette méconnaissance a une autre conséquence : on ne trouve en effet qu’une poignée de joueuses du Kenya hors d’Afrique. « Beaucoup d’entraîneurs m’ont dit : " C’est quoi ce recrutement exotique ? " », raconte Atman Toubani, l’entraîneur de Chamalières, sur l’arrivée de Khadambi et Wairimu en France en août 2014 pour une saison. « Beaucoup de personnes sont réticentes vis-à-vis des joueuses africaines, confirme-t-il. Elles sont soi-disant nonchalantes et elles ne sauraient soi-disant pas s’entraîner… Il y a beaucoup de préjugés ».
Chamalières a pourtant décroché son accession en première division française, grâce en partie à ses deux Kényanes (voir encadré). « Elles ont terminé la saison tellement fort que tout le monde souhaite avoir des joueuses du Kenya, souligne Atman Toubani, qui avait pris contact avec ses deux futures protégées via Facebook. Cette filière est plus que sous-exploitée. Je pense que les clubs français et même européens vont désormais ouvrir les yeux. Il y a un potentiel très important là-bas. Ces joueuses ont le niveau pour évoluer dans l’élite ».
Manque de moyens et d’infrastructures au Kenya
Brackcides Khadambi veut tordre le cou, au passage, à une autre idée reçue. « On est venu en France parce qu’on sait que ce pays a de bonnes infrastructures et de bons entraîneurs, assure la centrale. Notre but est d’améliorer nos capacités en volley-ball. Il y a bien sûr l’argent, mais pour nous, les Africains, l’argent n’est pas si important ; l’important, c’est notre progression ».
Jane Wairimu lâche, de son côté : « Les infrastructures sont un problème au Kenya. On a un seul véritable gymnase. La plupart du temps, on s’entraîne en extérieur. Avoir des ballons et s’entraîner en intérieur, c’est très difficile pour nous. »
Les volleyeuses kényanes vivent parfois de leur passion. « Un club comme Kenya Prisons, par exemple, est sponsorisé par le gouvernement, explique Khadambi. Ils vous donnent un emploi. Comme ça, vous travaillez et vous jouez au volley-ball en même temps ». La compagnie nationale pétrolière (National Oil Corporation) finance aussi l’équipe nationale. « Mais c’est parfois difficile, parce que l’économie du Kenya n’est pas toujours au mieux, relate Khadambi. Les salaires ne sont pas toujours très bons. Il faut s’occuper de sa famille, s’entraîner, travailler… Parfois, l’argent manque. Parfois, ça va, et parfois non. ».
Du coup, les deux Auvergnates d’adoption ne semblent pas beaucoup hésiter concernant leur avenir. « Si Chamalières me rappelle, je reviendrai », lance Brackcides Khadambi, avant de s’envoler pour le Championnat d’Afrique à Nairobi.
Chamalières mise sur l’Afrique avec succès
Avec trois Camerounaises et deux Kényanes dans son effectif, le Chamalières Volley-Ball mise résolument sur l’Afrique. Avec succès. Le mélange entre joueuses africaines, jeunes françaises et tchèque a bien fonctionné. Les Chamaliéroises ont ainsi décroché leur place en Ligue A féminine pour la première fois de leur histoire, le 9 mai 2015 (voir les photos du match décisif, ici et ici).
Dans une région férue de rugby, les volleyeuses se sont bâti une jolie réputation, grâce à leurs beaux résultats sportifs et à une communication habile.
Atman Toubani, le manager sportif, souhaite en tout cas reprendre les mêmes recettes pour la prochaine saison. « Je pars voir le Championnat d’Afrique au mois de juin, annonce-t-il. Aucun entraîneur ou agent ne se déplace lors de ces compétitions. Je trouve ça aberrant. Il suffit juste de donner de bonnes conditions d’entraînement aux joueuses africaines ».