Cannes: la Croisette aime bien les fratries

Pour la première fois, des frères présideront cette année le jury du Festival de Cannes du 13 au 24 mai : les Américains Joel et Ethan Coen, Palme d’or en 1991 pour Barton Fink. Cette présidence bicéphale va dans le sens de l’Histoire car le Festival a souvent fait la part belle aux fratries de cinéastes. Flashback.

Joel et Ethan Coen : La nomination des deux incorrigibles frangins promet de pimenter cette 68e édition tant ils pratiquent l’humour en stéréo, sur les plateaux comme à la ville. Il ne faut donc pas s’attendre à une « présidence normale » de la part de ces deux habitués de La Croisette. Les Coen furent couronnés en 1991 pour Barton Fink, leur 4e film, l’histoire d’un scénariste new yorkais (John Turturro, récompensé lui aussi d’une Palme d’or cette année-là) qui vient tenter sa chance dans le Hollywood des années 1940 et qui vit, mal évidemment, les affres de la création. Depuis, les Coen sont revenus régulièrement à Cannes, toujours en compétition officielle et à chaque fois nommés pour un prix, que ce soit avec Le Grand Saut (1994), Fargo (1996, Prix de la mise en scène), O’ Brother (2000), The Barber (2001, Prix de la mise en scène), The Ladykillers (2005) ou encore Inside Llewyn Davis (2013). « Ils communiquent par télépathie », avait dit d’eux Paul Newman après le tournage du Grand Saut, l’un de leurs premiers succès, un Paul Newman intrigué, comme beaucoup d’autres, par cette faculté de parler à deux voix. « Quand l’un commence une phrase, l’autre la termine », notait un critique après les avoir interviewés. Nul doute que les délibérations du jury vaudront leur pesant de popcorn la semaine prochaine.

Paolo et Vittorio Taviani : Aînés de cette fratrie cannoise, les Italiens Paolo et Vittorio Taviani,aujourd’hui âgés respectivement de 85 et 83 ans, ont eu cette phrase merveilleuse pour qualifier leur collaboration, toujours très étroite depuis leur premier court métrage en 1954 : « Nous sommes comme le café au lait. Impossible de dire où finit le café et où commence le lait ! ». Cinéastes humanistes, ceux que Marcelo Mastroianni appelait affectueusement Paolovittorio, pour souligner leur symbiose, furent couronnés d’une Palme d’or pour Padre Padrone en 1977, époque à laquelle le cinéma italien de l’avant-Berlusconisme rayonnait encore de toute sa splendeur. Cette année-là, le président du jury n’était autre que Roberto Rossellini, l’un des maîtres des Taviani, alors que l’on trouvait également dans la compétition officielle Un bourgeois Tout Petit Petit de Mario Monicelli et surtout Une Journée particulièred’Ettore Scola. Padre Padrone conte l’histoire, tirée d’un roman de Gavino Ledda, d’un berger sarde qui échappe à la tutelle de son père dominateur et à l’analphabétisme grâce au service militaire, puis finit par devenir linguiste. Habitués du Festival, les Taviani ont également été récompensés d’un Grand Prix du Jury en 1982 pour La Nuit de San Lorenzo. Après une longue éclipse, on les a revus triomphants en 2012 quand ils se sont vus attribuer l’Ours d’or à la Berlinale pour César Doit Mourir, film tourné dans un QHS de Rome.

Tony et Ridley Scott : Ces deux-là détonnent un peu dans la liste car ils n’ont jamais travaillé ensemble sur un même film. Pas au cinéma du moins car, durant leur jeunesse, les deux natifs du nord de l’Angleterre ont quand même collaboré sur plusieurs projets dans la publicité et la télévision. De sept ans plus âgé que Tony, Ridley Scott a été couronné dès son premier long métrage présenté à Cannes : Les Duellistes, adaptation d'une nouvelle de Joseph Conrad fortement influencée par le Barry Lyndon de Stanley Kubrick et récompensée du Prix de la Première œuvre en 1977 par le même jury qui avait couronné les frères Taviani. Metteur en scène à l’œuvre immense et éclectique, Ridley Scott n’est revenu qu’une fois à Cannes, en 2010, pour présenter hors compétition Robin Des Bois avec Russel Crowe dans le rôle principal, son film à plus gros budget à ce jour mais pas son plus grand succès dans les salles. Décédé en 2012 après s’être donné la mort en sautant d’un pont à Los Angeles, Tony Scott a, comme son frère, présenté son premier film à Cannes, mais hors compétition. Il s’agissait desPrédateurs avec David Bowie, Catherine Deneuve et Susan Sarandon, œuvre devenue culte sans avoir pourtant connu la gloire au box office quand il est sorti.

Jean-Pierre et Luc Dardenne : Comme les Coen, ils auraient pu se voir proposer la présidence bicéphale du jury tant leurs noms sont associés au Festival. « Palmés » en 1999 pour Rosetta, puis en 2005 pour L’Enfant, les deux frères nés près de Seraing, dans la banlieue de Liège, en Belgique, se sont également vus décerner le Prix du scénario à Cannes pour Le Silence de Lorna en 2008 ainsi que le Grand Prix du Jury pour Le Gamin Au Vélo en 2011. Emblématique de leur œuvre, marquée entre autres par un traitement sans complaisance des thèmes sociaux et une fascination pour les faits divers, Rosetta retrace le chemin de croix d’une jeune ouvrière licenciée qui vit dans le dénuement avec sa mère, à la recherche désespérée d’un emploi. Le rôle a valu également à la Belge Emilie Dequenne la Palme d’or pour sa première apparition au cinéma. Encore plus sombre, L’Enfant traite également du désarroi de la jeunesse pauvre dans l’Europe de ce début du XXIe siècle (un jeune père qui vend son nouveau-né) avec Jérémie Régnier, Déborah François et Olivier Gourmet dans les rôles principaux, trois autres acteurs belges très prisés en France. Influencés par un père résistant et militant actif des causes sociales, les Dardenne sont à la fois des symboles du Festival et son exact opposé tant leur travail les situe à des années-lumière des paillettes et des flashs de la Croisette.

Jean-Marie et Arnaud Larrieu : Si les Dardenne se sont naturellement immergés dans le social en Wallonie, les Larrieu ont fait des Amours – majuscule et singulier facultatifs – leur thème récurrent. Et de la montagne leur décor privilégié. Un peu normal pour ces deux Béarnais élevés à Lourdes où ils firent les quatre cents coups dans un petit hôtel tenu par leurs grands parents. Leur premier séjour à Cannes remonte à 2001 lorsque leur deuxième film, La Brèche de Roland, un moyen métrage sur lequel les avait rejoint Mathieu Amalric, futur acteur fétiche, fut sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs. Quatre ans et un long métrage plus tard, ils reviennent sur les bords de la Méditerranée avec Peindre Ou Faire l’Amour (2005) leur seul film, à ce jour, présenté en compétition officielle au Festival. Partis de rien – recalés à la Fémis et dissuadés sans cesse de faire du cinéma – ils étaient alors, pour la première fois, à la tête d’un casting haut de gamme : Sabine Azéma, Daniel Auteuil, Sergi Lopez, Amira Casar. Cette fable bucolique sur fond d’échangisme fera un joli carton dans les salles et permettra aux Larrieu de changer définitivement de statut dans le paysage cinématographique français.

Albert et Allen Hughes : Nés un 1er avril, ce sont les seuls jumeaux de cette sélection en même temps que les champions de la précocité. Après avoir tourné des courts métrages et des clips, notamment avec deux icônes du rap West Coast - Tupac Shakur et Tone Lōc - ils débarquent à 21 ans avec Menace II Society qui fait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, en qualité de premier film. C’est l’un des films choc de l’année, qui sort sur les écrans douze mois après les émeutes de Los Angeles survenues après  l’acquittement des quatre policiers accusés du tabassage de Rodney King. Comme Boyz N The Hood, sorti deux ans plus tôt, Menace II Society se situe dans un contexte de violence et de tension raciale qui donne naissance à un genre : le « Hood film ». Malgré ces débuts très prometteurs, les frères n’ont pas produit ensuite de films dignes de les faire revenir à Cannes. Leur dernier long métrage en commun, The Book of Eli, avec Denzell Washington (2010) a gagné de l’argent mais n’est jamais sorti ailleurs qu’aux Etats-Unis.

Larry (puis Lana) et Andy Wachowski : Comme les jumeaux Hughes, les Wachowski, le couple de frangins le plus insolite de toute l’histoire du cinéma, n’a fait qu’une seule apparition à Cannes mais une apparition remarquée, bien que hors compétition. Il s’agissait de la première mondiale de Matrix Reloaded (2003), deuxième volet de la trilogie des Matrix, une saga révolutionnaire sur le plan technique et narratif qui fit reconnaître à George Lucas lui-même que ses Star Wars avaient pris, en un éclair, un sacré coup de vieux. Révélés par le sulfureux Bound (1996), film très noir sur fond de romance saphique, les frères Wachowski ne le sont plus vraiment tout à fait, des frères, depuis que Larry a publiquement annoncé avoir changé d’identité sexuelle pour adopter le nom de Lana en 2012.

Sofia et Roman Coppola : Notre galerie de portraits se termine par un authentique couple sœur-frère, descendants directs de Francis Ford Coppola, autre monstre sacré cannois (Palme d’or en 1974 pour Conversation Secrète et en 1979 pour Apocalypse Now). A l’instar de Ridley et Tony Scott, les enfants de Francis n’ont jamais réalisé de film ensemble mais ils en ont tous deux présenté à Cannes. Pour Roman, ce fut CQ, son premier opus présenté hors compétition en 2001, un hommage à Barbarella le film de science-fiction kitschissime réalisé par Roger Vadim en 1968. Sofia aussi fit ses début à Cannes avec The Virgin Suicides, beau film sur l’adolescence présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 1999. Puis elle présenta, en compétition cette fois, le biopic Marie-Antoinette (2006), son deuxième plus gros succès après Lost in Translation. Membre du jury présidé l’an dernier par Jane Campion, Sofia Coppola avait également présenté The Bling Ring (2013) dans la sélection Un Certain Regard, film pour lequel Roman endossa le rôle de producteur, comme il l'avait fait avec Somewhere (2010).
 

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