Affaire Ghlam: symptôme des défaillances du renseignement français?

L’arrestation « fortuite » d’un homme qui préparait au moins un attentat contre une église de la banlieue de Paris a relancé le débat autour des moyens de service du renseignement français. Ce jeune étudiant algérien a appelé les pompiers après s’être tiré une balle dans la jambe gauche. Ce sont alors les investigations de routine de la police qui ont révélé ses projets. Pas la surveillance des services spécialisés dont les moyens devraient être renforcés par l’adoption, d'ici l'été du projet de loi sur le renseignement.

Sid Ahmed Ghlam faisait l’objet d’une fiche S - « S » comme « sûreté de l’Etat » - car il était connu des services de renseignement pour avoir eu des velléités de départ en Syrie. L’étudiant a d’ailleurs fait un séjour en Turquie en début d’année. « Mais les services de renseignement n’ont pas de trace de passage en Syrie à ce moment-là », précise François Molins, le procureur de Paris.

Ses projets inquiétaient tout de même : Sid Ahmed Ghlam a été placé sous surveillance par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) au printemps 2014. Mais « aucun élément n’a permis de le lier à une organisation terroriste », assure François Molins. La surveillance a été levée, une fiche rédigée. Mais en avril, le jeune homme semblait prêt à passer à l’acte. Et s’il n’a pas tiré sur des fidèles catholiques, il aurait fait une victime : Aurélie Châtelain, tuée à Villejuif dans sa voiture.

Pas de faille reconnue

Il n’en fallait pas plus pour que des voix commencent à dénoncer les défaillances des services de renseignement, comme ce fut le cas après les attentats commis par Mohamed Merah en 2012. Sur le plateau de la chaîne de télévision TF1, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a répondu en ces termes : « La DGSI a fait tout ce qu'elle doit faire […] et procédé à toutes les vérifications qui devaient être faites. […] Il faut arrêter de commencer à théoriser sur des failles. »

Pas de faille reconnue et le chef du gouvernement s’est réjoui que cinq projets d’attentats aient été déjoués depuis l’été 2013. Mais les services de renseignement ont-ils les moyens de faire face à l’augmentation constante du nombre de personnes impliquées dans les filières terroristes ? Selon Manuel Valls, elles étaient 1 573 lorsque Sid Ahmed Ghlam a été arrêté. En octobre, le Premier ministre évoquait devant les députés « un millier de personnes », soit une augmentation de près de 60% en un peu plus de six mois. Et le nombre de personnes à surveiller est encore supérieur : il s’élève à 3 000, selon Manuel Valls.

Après les attentats du mois de janvier, le gouvernement avait annoncé la création de 2 680 emplois supplémentaires dédiés à la lutte contre le terrorisme sur les trois prochaines années. Et mercredi dernier, le président François Hollande a annoncé une rallonge du budget de la Défense de 4 milliards d’euros de 2016 à 2019, là aussi pour faire face à la menace terroriste.

Mais pour le gouvernement, lutter efficacement contre le terrorisme n’est pas qu’une question d’effectifs. Cela passe aussi par la voie législative, une modification du texte qui réglementait les activités de renseignement : il datait du début des années 1990, soit avant l’invention d’internet et du téléphone portable !

Une loi liberticide ?

Jugé liberticide par une partie de la classe politique (tous partis confondus), le projet de loi vise donc, pour l’exécutif, à combler certaines défaillances : permettre une surveillance électronique et l’utilisation de nouveaux outils tels que les IMSI-catcher, ces valises espionnes qui permettent aux services de renseignement d’aspirer les métadonnées des personnes se trouvant dans un rayon géographique de plusieurs centaines de mètres. Ces pratiques ont déjà cours – le gouvernement le reconnaît, évoquant une « zone grise » – mais elles deviendront désormais légales. Et les IMSI-catcher pourront être utilisés plus facilement.

Après la révélation de ce projet d’attentat contre une église de Villejuif, le gouvernement a souligné la nécessité de renforcer les services de renseignement. Difficile de dire néanmoins que ce nouveau texte aurait permis de détecter les projets de Sid Ahmed Ghlam. Car s’il facilitera l’interception de données, il faudra du personnel pour les analyser. Et la ressource humaine risque d’être ce qui fera le plus défaut : il est estimé qu’il faut une vingtaine d’agents pour surveiller un suspect 24 heures sur 24. L’augmentation constante du nombre de personnes à surveiller est donc un défi quasi insurmontable en période de restrictions budgétaires.

Mais le gouvernement a en tout cas gagné la bataille de l’opinion publique. Avant même l’annonce de ce projet d’attentat avorté, près de sept Français sur dix jugeaient cette nouvelle loi sur le renseignement utile, selon les sondages. Après son examen en procédure d’urgence par l'Assemblée nationale, elle devrait être adoptée par les députés le 5 mai prochain lors d’un vote solennel. Le Sénat l'étudiera lui avant l'été.

 

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