Soudan: une diplomatie tous azimuts pour en finir avec les sanctions

A l’approche des élections présidentielle et législatives du 13, 14 et 15 avril, Khartoum s’inquiète du mécontentement populaire montant et mène une diplomatie tous azimuts pour faire lever les sanctions qui touchent durement son économie. Le pays est également fragilisé par les rébellions dans les provinces périphériques.

L’atelier régional de l’Union africaine sur « l’impact des sanctions économiques sur la sécurité nationale en Afrique » a réuni à Khartoum, du 23 au 24 mars dernier, tout ce que le continent noir compte de services de contre-espionnage. Organisé sous l’égide du Comité des services de renseignement et de sécurité africains (CISSA) qui est le bras sécuritaire de l’Union africaine (UA), cette réunion avait pour objectif de mettre en œuvre des stratégies géopolitiques africaines face aux menaces sécuritaires. « Si le terrorisme est une menace à la sécurité, les sanctions économiques le sont aussi car elles créent un environnement favorable au développement de l’extrémisme », a expliqué Shimelis Woldesemayat, secrétaire exécutif du CISSA.

L'hôte soudanais de cette rencontre n'était autre que le tout-puissant service national des renseignements et de sécurité (le National Intelligence and Security Services, connu plus communément sous l'acronyme NISS). Ce n’est d’ailleurs pas anodin que cette rencontre ait eu lieu à Khartoum, capitale de l’un des principaux pays africains (avec la Libye, la Somalie et le Zimbabwe) pointés du doigt par la communauté internationale pour ses liaisons dangereuses avec le terrorisme et, à ce titre, cible de sanctions économiques et commerciales.

Une tribune africaine

Depuis 1993, le Soudan est inscrit sur la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme, ce qui lui a valu dès 1997 d’être la cible de sanctions américaines, qui seront renforcées en 2007 en raison de la crise au Darfour. Ces sanctions coûtent cher à l’économie du Soudan, surtout depuis que ce pays a perdu 80% de ses ressources pétrolières suite à la sécession du Soudan du Sud en 2011.

En accueillant la rencontre du CISSA chez eux, les Soudanais poursuivaient visiblement deux objectifs : sensibiliser d’une part les autres pays du continent aux effets désastreux des sanctions sur l'économie soudanaise et, d’autre part, organiser une posture africaine commune face aux puissances internationales qui imposent ces sanctions. C’est le premier volet d’une campagne diplomatique tous azimuts lancée par les stratèges soudanais pour faire lever l’embargo.

Pour ce premier volet, on pourrait parler d’une diplomatie d’anathèmes, avec les orateurs de Khartoum puisant largement dans le lexique anticolonial d’un autre temps. « Les sanctions sont une nouvelle forme de colonisation », a déclaré le vice président de la République soudanaise, Hassabo Mohamed Abdul Rahman, qui a ouvert les travaux de cet atelier. Celui-ci a appelé à la solidarité des Africains face au « colonialisme qui perdure » et a souligné « l’illégalité des sanctions économiques ».

Pour la séance de clôture, les organisateurs avaient mobilisé l’un des plus proches conseillers du président soudanais, Ibrahim Ahmed Ghandour. Selon ce dernier, les sanctions n’étaient rien moins qu’une « déclaration de guerre contre la démocratie ». Voire même un « complot pour maintenir l’homme africain dans la pauvreté, l’ignorance et le conflit perpétuel » !

Amadouer l’Occident

Ces appels anti-occidentaux des orateurs soudanais n’étaient pas dénués d’hypocrisie et de calculs. Preuve du double langage des autorités soudanaises, le conseiller présidentiel Ghandour qui a clos la réunion de Khartoum est aussi le principal médiateur du Soudan dans ses négociations en cours avec les Américains pour la levée des sanctions. Chose que l’homme s’est bien gardé de rappeler pendant la conférence du CISSA. Vice-président du National Congress Party (NCP, au pouvoir) et membre du premier cercle, Ghandour est un élément indispensable du dispositif mis en place par l’administration soudanaise pour amadouer les Occidentaux.

En février dernier, celui-ci s’est rendu à Washington où il a rencontré les responsables Afrique du Département d’Etat. C’était la première visite d’un officiel soudanais dans la capitale américaine depuis plusieurs années. Il faut croire que l’envoyé spécial de Khartoum a su être suffisamment persuasif car la visite a été suivie d’une modification des sanctions contre le Soudan permettant à celui-ci d’importer du matériel informatique et de logiciels de communication ainsi que des ordinateurs portables et des Smartphones. Dans la foulée, c’est le secrétaire d’Etat adjoint américain du Bureau pour la démocratie, les droits de l’homme et le travail, Steven Feldstein, qui est venu à Khartoum pour un long séjour d’une semaine.

Ces développements plutôt positifs pour le régime soudanais annoncent-ils d’autres avancées dans le même sens ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il qu’à peine l’hôte parti, le président Béchir est allé à la télé proclamer que son administration avait surmonté les défis qui avaient empoisonné les relations de son pays avec les Etats-Unis. D’ailleurs, tout Khartoum bruit, depuis, de rumeurs sur la levée totale des sanctions avant la fin de l’année. C’est certainment aller un peu vite en besogne. Même dans les années post-11 septembre 2001, lorsque la CIA collaborait étroitement avec les services de renseignements soudanais pour recueillir des informations sur l’insurrection en Irak ou en Somalie, les Américains n’ont jamais cessé d’exercer une forte pression économique et politique sur le Soudan.

D’ailleurs, les autorités soudanaises sont manifestement conscientes que la fin de l’embargo n’est pas pour demain, ce qui explique l’appel qu’elles ont lancé lors d’une récente réunion bilatérale franco-soudanaise à Khartoum, demandant à Paris de jouer de ses bons offices auprès des Américains. Elles auraient promis, en contrepartie, de ne pas déstabiliser le processus de réconciliation en cours en Centrafrique, allant jusqu’à s’étonner, selon un diplomate, que l’armée française ne soit pas plus massivement présente à Bangui.

L’axe arabe

Enfin, le rapprochement avec les pays arabes constitue le troisième volet de la nouvelle politique étrangère soudanaise. Tendues dans les années 1990 en raison du prosélytisme islamiste du régime de Khartoum, les relations du Soudan avec ses voisins arabes se sont décrispées, notamment avec le Caire, où Omar el-Béchir a longtemps été persona non grata en raison de son implication dans un complot pour l’assassinat de l’ex-président Hosni Moubarak.

Par ailleurs, profitant de la guerre au Yémen, Béchir s’est rapproché de l’Arabie saoudite et a dépêché ses soldats pour prendre part à l’opération militaire en cours. Le Soudan a aussi mis à la disposition de l’armée saoudienne ses ports sur la mer Rouge en vue d’éventuelles opérations navales. Dès le début de la guerre, le président Béchir s’est personnellement déplacé à Riyad pour prêter allégéance à Salman Bin Abdoul Aziz, le nouveau souverains saoudien. Les Soudanais savent que leur retour dans le concert des nations passe aussi par leur réintégration au monde arabe dont ils avaient été mis au ban depuis leur « malencontreux » soutien à Saddam Hussein en 1990 pendant la guerre du Koweït.

« Grand corps malade »

Or toute cette frénésie d’activités diplomatiques risque de ne pas produire l’effet escompté tant que Khartoum n’aura pas réglé au préalable ses problèmes internes de rébellions et retrouvé la voie de la démocratie. Avec la moitié des 18 Etats que compte le pays secoués par des rébellions et la montée du mécontentement dans les villes où les manifestations contre la vie chère sont réprimées dans le sang, le Soudan constitue « un grand corps malade », estiment les observateurs occidentaux. Amnesty International évoque, pour sa part, des cas d’arrestations arbitraires, de tortures et d’intimidation contre des opposants et des journalistes perpétrés par le NISS.

Dans les provinces en proie à des violences chroniques, la situation n’a cessé de se dégrader. Notamment au Darfour, ainsi que dans les Etats du Nil Bleu et du Kordofan-Sud où le gouvernement a lancé en novembre dernier une offensive contre les rebelles. Au Darfour, où les populations tribales s’estiment marginalisées par l’élite arabe, des insurgés combattent les forces gouvernementales depuis 2003. Selon les chiffres de l’Onu, plus de 300 000 personnes ont trouvé la mort et 2,5 millions ont été déplacées en une décennie de conflit considéré comme l’un des plus violents que l’Afrique postcoloniale ait connu. C’est ce qui explique que l’Onu a dépêché au Darfour l’une des plus importantes missions de maintien de la paix dans le monde. Déployée depuis 2007, la MINUAD compte quelque 15 000 policiers et militaires et 4 000 civils, mais subit des pressions croissantes des autorités soudanaises pour se retirer.

C’est d’ailleurs à cause des atrocités commises par les militaires au Darfour, que le président Omar el-Béchir est réclamé par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité et génocide. La décision récente de la CPI de saisir le conseil de sécurité de l’Onu pour le refus de l’Etat soudanais de donner suite aux mandats d’arrêt délivrés par les juges internationaux contre son président en 2009 et 2010, n’est sans doute pas étrangère au nouvel activisme diplomatique de Khartoum. De toute évidence, ce dernier veut améliorer son image.

Selon certains spécialistes, l’obstination du gouvernement à organiser des élections en avril relève du même souci de « polir » son image à l’international. Or ces élections que le pouvoir est quasi-certain de remporter, auront peu de crédibilité, étant donné que les principaux partis d’opposition ont décidé de les boycotter.

Pour autant, Khartoum ne semble pas prêt à lâcher du lest sur le plan domestique en retournant à la table de négociations avec l’opposition et d’annuler les élections, comme le lui demande la communauté internationale. Lors de leurs discussions en février dernier avec l’envoyé spécial de président soudanais à Washington, Ibrahim Ghandour, les responsables du Département d’Etat ont insisté sur la nécessité d’ouvrir un dialogue national inclusif sous l’égide du Panel de Haut niveau de l’Union africaine, dirigé par le médiateur sud-africain.

Ce message apparemment a du mal à passer auprès des dirigeants soudanais. D’autant que Khartoum estime que ce n’est pas aujourd’hui dans l'intérêt des Etats-Unis, confrontés à la montée des périls dans le Moyen-Orient, de pousser à un changement de régime au Soudan qui occupe un rôle pivot à la croisée du monde africain et du monde arabe. « Je suis le rempart », aime rappeler l’autocrate soudanais à ses rares visiteurs occidentaux.

C’est cette carte de pays-pivot et rempart qu’Omar el-Béchir compte jouer pour arracher la levée progressive des sanctions.

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