RDC: la lutte des déplacés pour survivre au Katanga

Les déplacés de guerre du Katanga, dont certains, traumatisés, n’imaginent pas de rentrer chez eux, survivent dans des conditions très difficiles. Souvent, ils travaillent dans les champs de la population d’accueil pour un maigre salaire qui ne leur permet pas de scolariser leurs enfants.

De notre envoyée spéciale à Lukwangulo et Kipeto,

« On a accueilli les déplacés venus de la frontière avec le Sud-Kivu. Les déplacés vivent relativement bien (…) mais on a besoin d’assistance », raconte dans son polo trop grand le vieux Kabwa Asumani Lukwangulo, chef pygmée de la localité de Lukwangulo, nichée dans le nord déshérité de la province minière du Katanga, elle-même située dans le sud-est de la République démocratique du Congo et qui compte près de 600 000 déplacés de guerre.

Lukwangulo, en territoire de Kalemie, accueille quelque 3 500 déplacés bantous qui ont fui pour certains en 2011 une attaque des rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), dont des chefs sont accusés d’avoir participé au génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda avant de se réfugier dans l’est congolais, où ils commettent de graves exactions (meurtres, viols, enrôlement d’enfants, pillages…).

Le 29 janvier, l’armée a annoncé une offensive contre les FDLR, surtout installées dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu et qui se financent avec un lucratif trafic de charbon de bois et d’or. Pour l’heure, aucun combat n’a été signalé et des analystes doutent de la bonne volonté de Kinshasa d’éradiquer les rebelles avec qui, selon des experts de l’ONU, de hauts gradés de l’armée entretiennent des liens étroits.

Un travail à un dollar par jour

Quoi qu’il en soit, traumatisés, les déplacés de Lukwangulo ne s’imaginent pas rentrer au Sud-Kivu. Alors, ils tentent de s’installer au mieux sur leur terre d’asile. « Ca va doucement, doucement. On s’habitue aux difficultés. Quand on est arrivé, c’était pire : on a souffert de la faim, du manque de vivres, d’habits, d’ustensiles de cuisine, d’argent », énumère patiemment Sakina Okenge, 50 ans, chef des déplacés.

En raison des nombreuses crises dans le monde, qui divisent les fonds disponibles, le Programme alimentaire mondial (PAM) a notamment dû réduire son aide à l’ex-Zaïre. « Pour vivre, on travaille dans le champ des autochtones. Pour cultiver 5 mètres sur 10, on gagne 1 000 francs congolais (environ 1 dollar) par jour », raconte Sakina Okenge, qui a quitté son village avec son mari et ses huit enfants.

Bonet Kilauli, 37 ans, a perdu une partie de sa jambe droite en fuyant. Pour ce père de sept enfants, impossible de travailler. « Il n’y a que ma femme qui va au champ. C’est elle qui nourrit les enfants, paie mes habits… C’est douloureux de ne pas pouvoir prendre en charge sa famille », explique-t-il, en équilibre sur ses béquilles dans la cour d’une école primaire où peu d’enfants déplacés sont scolarisés, faute de moyens.

Certains ne reçoivent pas d’argent en travaillant les champs et sont payés en nature avec des cossettes de manioc. Comme Tabu Shamani, 53 ans, qui chaque jour tente d’en vendre une partie sur son étal un bois. « Je vends le petit tas 500 francs, et le gros 1 000 francs. Je n’ai pas le choix si je veux acheter du sel et du savon ! » Sa famille étant nombreuse, elle se prive : elle racle les écorces pour extraire des restes de manioc, qu’elle pile en farine.

A Kipeto, un village du territoire de Pweto, au sud de celui de Kalemie, environ 1 000 personnes se sont installées après avoir échappé en 2013 ou 2014 aux miliciens séparatistes Bakata-Katanga, qui se livrent à des assassinats et des incendies de villages. Là aussi, l’aide est rare et les déplacés travaillent dans les champs des « autochtones » pour un salaire semblable à celui perçu à Lukwangulo et d’autres sites.

Entouré d’habitations, un bâtiment que les déplacés ont transformé en école primaire. Les frais de scolarité s’élèvent à 2 000 francs congolais par mois. « Les enfants sont inscrits à la sueur du front de leurs parents », témoigne l’enseignante déplacée Ghislaine Kibombe, 37 ans. Jean Kibwe Makaya, même âge et directeur de l’établissement, précise que l’« on ne renvoie pas les enfants » dont les parents n’arrivent plus à payer.

L’école compte trois salles de classe et accueille 150 enfants, dont 62 sont déplacés. Près de la cour où jouent les enfants, un petit champ est cultivé avec soin par les élèves et les professeurs. « C’est un champ scolaire, commente Jean Kibwe Makaya. Il nous aide à donner à manger aux enfants et on cherche aussi à vendre la récolte pour avoir des fournitures. Nous cultivons du maïs et des haricots. »

Les semences ont été données en octobre par Caritas pour aider l’école mais aussi les déplacés. Malgré tout, « la situation au camp est très maussade, la nourriture manque... Ce qui nous est très difficile, c’est que la production du champ ne permet pas de nourrir tout le monde, d’avoir un rendement un peu valable. Il faudrait nous renforcer avec de l’engrais chimique. Le matériel aussi manque. »

Le matériel aratoire est indispensable pour travailler la terre efficacement, en économisant ses forces. Mais lors de leur fuite, les déplacés, pour beaucoup cultivateurs, ont dû tout laisser derrière eux, y compris leurs précieux outils. Alors pendant une foire aux vivres organisée par l’ONU fin novembre à Mwenge, toujours en territoire de Pweto, plusieurs déplacés ont privilégié l’achat de matériel.

Partager :