Quelles sont les mesures d’urgence envisagées par le gouvernement pour que ces élections puissent se dérouler sur toute l’étendue du territoire nigérian ?
Pour le moment, il n’y en a pas. Avant le report, l’Inec, la Commission électorale nationale indépendante, a déclaré que tout serait fait pour que les quelque un million de déplacés par les violences dans les Etats de Yobe, Borno et Adamawa puissent voter. La Commission a toutefois indiqué que les scrutins ne se tiendraient pas dans les zones dites à risques, comme les localités de Gwoza, par exemple - cela étant trop dangereux en raison de la présence des islamistes de Boko Haram. Les réfugiés, au Cameroun et au Niger, eux, ne pourront pas voter car la loi nigériane ne le leur permet pas. Quant au reste du territoire, les scrutins devront se dérouler, comme toujours, sous haute sécurité militaire et policière. Et c’est faute de pouvoir garantir cette sécurité que les élections ont été repoussées.
En tout cas, c’est la raison officielle...
Les services de sécurité ont indiqué ne pas être en mesure d’assurer le bon déroulement des scrutins, car les militaires sont trop occupés à combattre Boko Haram dans l’extrême Nord-Est. Ils ont déclaré avoir besoin de six semaines supplémentaires pour terminer le travail. Un argument peu convainquant. Cela fait deux ans que les forces nigérianes mènent des opérations contre Boko Haram. Et ce n’est pas en six semaines qu’elles vont en venir à bout, même avec l’aide des pays voisins. Il faut plutôt voir derrière cela des motivations d’ordre politique. Pour l’instant, donc, les élections sont reportées. Et on ne sait pas quelles seront les mesures prises pour que tout le monde puisse voter.
Beaucoup d’observateurs pensent que ce report peut favoriser le camp du président sortant, Goodluck Jonathan. Qu’en est-il véritablement ?
Cette élection présidentielle s’annonce comme la plus serrée de l’histoire du pays depuis le retour de la démocratie en 1999. Un sondage réalisé le 27 janvier dernier indiquait que les deux candidats étaient au coude-à-coude. Pour remporter la présidentielle, il faut, selon la Constitution, obtenir le plus de voix au niveau national et plus de 25% des suffrages dans au moins deux-tiers des 36 Etats de la Fédération plus Abuja, la capitale. Or, Goodluck Jonathan a essuyé pas mal d’affronts lors de meetings politiques en janvier, notamment dans le Nord. Son convoi a été attaqué. D’autres fois, les stades étaient quasiment vides ou alors il se faisait huer. Comme le dit ce petit jeu de mot entendu ça et là : « Goodluck n’avait plus bonne chance ».
Pourquoi ce report serait-il profitable à Goodluck Jonathan ?
Le Parti démocratique populaire, le PDP de Goodluck Jonathan, est au pouvoir. De fait, il dispose de plus de moyens, même s’il se défend d’avoir accès aux finances publiques à des fins électorales. Plus de moyens, cela permet de mener une campagne électorale plus longue et donc de permettre à M. Jonathan de regagner du terrain. A l’inverse, le Congrès progressiste, l’APC, dont Muhamadu Buhari est le candidat, aura plus de mal à trouver de quoi faire campagne pendant encore six semaines. Pendant ce temps, le président sortant va pouvoir redorer son blason. Une source qui travaille dans la communication nous expliquait, il y a deux semaines, avoir été mandatée par l’équipe de Jonathan pour trouver de quoi relancer la campagne : des nouveaux slogans, des idées chocs. Ils étaient « désespérés », disait-il dit.
Comment les choses se passent-elles depuis le report ?
On voit des affiches partout vantant les mérites des quatre ans de Goodluck Jonathan au pouvoir. Des posters déroulent le concept assez abscons des TAN, les ambassadeurs de la transformation du Nigeria qui seraient les artisans d’une révolution silencieuse dans le pays. Des suppléments dans les journaux font le bilan des réalisations : ponts, routes, constructions d'écoles et d'hôpitaux. Goodluck est aussi sorti de son silence et s’est fendu d’un long entretien avec des journalistes pour dissiper tous les malentendus. Les Nigérians suspectent aussi le président de compter sur quelques victoires symboliques des militaires face à Boko Haram pour servir ses intérêts. Bref, c’est une campagne présidentielle dans l’urgence, qui ne garantit pas que le président sortant sortira vainqueur des urnes le 28 mars prochain.