Pourquoi le pouvoir interdit-il systématiquement les manifestations de l’opposition ?
Il est vrai que depuis bientôt trois ans que Macky Sall est élu, de nombreuses manifestations ont été interdites… Cela ne concerne pas seulement les marches de l’opposition… Par exemple, celle des organisations de femmes, en mai 2014, en réaction à l’enlèvement des 200 jeunes filles au Nigeria : leur sit-in devant l’ambassade du Nigeria à Dakar a été interdit. Même chose pour l’affaire dite du « mur de la honte », un terrain situé sur la corniche qui avait été attribué à l’ambassade de Turquie ; une manifestation interdite avait été réprimée. A chaque fois, le motif est le même : « menaces de troubles à l’ordre public »… En général, quand il y a tout un ramdam autour de l’interdiction, le préfet finit par autoriser les manifestations... C’est ainsi que le meeting de l’opposition a finalement été autorisé le 4 février dernier. Quant aux manifestations de la semaine précédente, le préfet a invoqué des défauts de déclaration… Ainsi, dans sa demande, le PDS avait écrit « place de l’Obélisque » alors qu’il s’agit officiellement de la place de « la Nation ». « Ce ne sont que des prétextes », s’insurge Seydi Gassama, d’Amnesty International Sénégal… Les cinq organisations sénégalaises de défense des droits de l’homme ont dénoncé ces interdictions à répétition. Le droit de manifester est un droit constitutionnel.
Mais quelle est la logique du pouvoir ?
Ces interdictions laissent la plupart des acteurs et des observateurs de la vie politique perplexes. Selon une source proche du pouvoir, les manifestations mobilisent les forces de l’ordre et paralysent une partie de la ville. « Nous savons qu’Abdoulaye Wade veut rendre le pays ingouvernable en mobilisant la rue. Va-t-on laisser le pays être pris en otage par un père parce que son fils est poursuivi en justice ? », s’exclame cette source tout en reconnaissant qu’il existe des luttes d’influence au sein du pouvoir. Les plus durs sont les plus alarmistes. Ils estiment qu’il ne faut pas laisser d’espace à Abdoulaye Wade, qu’on ne peut pas le laisser développer sa stratégie de tension permanente et de menace - d’autant que le PDS a décidé d’organiser chaque semaine des manifestations. Les interdictions correspondent aussi à une stratégie du pouvoir, qui compte sur leur effet dissuasif. Les autorisations tombent au dernier moment et cela désorganise l’opposition.
Y a-t-il d’autres voix au sein du pouvoir ?
Oui, certains pensent au contraire que c’est un mauvais calcul… Qu’en interdisant toutes ces manifestations, le gouvernement donne de l’importance et du crédit à l’opposition. Il ne faut pas oublier non plus que Macky Sall a été ministre de l’Intérieur. Il a le souci de l’ordre et de l’autorité de l’Etat, dans un pays qui selon lui doit se mettre au travail. Enfin, certains analystes comme Mame Less Camara, soulignent qu’il y a une dimension psychologique à prendre en compte. Macky Sall a été à l’école d’Abdoulaye Wade… Il a été son Premier ministre. Il le connaît très bien. Une partie se joue aussi entre les deux hommes.
Après ces événements, le pouvoir et l’opposition ont indiqué qu’ils étaient d’accord pour dialoguer ensemble. Quels sont les enjeux de ce dialogue ?
« Ma porte est ouverte », a en effet déclaré le président sénégalais qui a précisé qu’un tel dialogue ne pourrait se faire que dans le cadre de la séparation des pouvoirs. En termes plus clairs, cela signifie qu’il peut discuter de tout, mais que le dossier de Karim Wade est dans les mains de la justice, que le sort du fils de l’ancien président ne dépendrait donc pas lui. Sur la forme, il pourrait s’agir d’une audience entre les deux hommes, mais sur le fond, il est difficile d’imaginer quelque chose de concret. Au Sénégal, il n’y a pas de problèmes de fichier électoral, de composition de la Ceni ou de crise politique majeure. « De quoi vont-ils bien pouvoir parler s’ils ne parlent pas de Karim Wade ? », s’interrogent déjà la plupart des observateurs. Lors du meeting du 4 février, Abdoulaye Wade a déclaré qu’il était d’accord pour ne pas discuter de la libération de Karim Wade à proprement parler… Mais il a demandé que le dossier soit transféré devant une autre juridiction… Pour lui, la Cour de répression de l’enrichissement illicite n’est pas impartiale. Il a même dit qu’il était prêt à mourir pour cela. Abdoulaye Wade a rappelé qu’en tant que chef de l’Etat, Macky Sall est le gardien du bon fonctionnement des institutions, et donc de la justice. Voilà autant de sujets de discussion, selon Abdoulaye Wade. Si Macky Sall accepte d’ouvrir le dialogue, cela apaisera peut-être le climat politique, mais des voix s’élèvent déjà qui mettent en garde contre tout accord secret entre les deux hommes. Certains ne veulent pas entendre parler de « deal » sur les questions de traque des biens mal acquis.