Qui es-tu, Suzon ?
Je m'appelle Suzanne Thomas, mais tout le monde m'appelle Suzon. Je suis née en 1930, j'ai donc presque 9 ans et je vis dans un immeuble du 20e arrondissement de Paris avec mes parents. Mon papa s'appelle Albert et ma maman Clémence. J'aime faire des travaux manuels, jouer aux billes et à cache-cache dans l'immeuble avec mes amis, Jules et Rachel. C'est toujours Jules qui gagne. Faut dire qu'il connaît toutes les cachettes, car c'est le fils de la concierge. Quand Jules n'est pas là, on appelle sa mère la « pipelette » car elle ne sait pas tenir sa langue !
Il se passe des choses inhabituelles en ce moment en France ?
Oui, l’autre jour, la Pologne, un pays ami, a été attaquée par l’Allemagne. Alors, partout dans les rues de Paris, on a vu des affiches marquées « Ordre de mobilisation générale ». Puis papa est parti à la guerre. Depuis, on n’a plus de nouvelles. Quand on l'a amené à la gare avec son barda, il y avait une foule impressionnante sur les quais. Des enfants pleuraient en quittant leur père. J'ai vu des adultes en larmes. Maman m'a dit que ce sont des parents qui embrassent leurs fils sans savoir s'ils les reverront un jour. Le père de Rachel aussi est soldat. On l’a envoyé sur la ligne Maginot. Il dit qu'il s'ennuie et que « pour tuer le temps », il fait des parties de cartes qui durent des heures. D'autres montent des pièces de théâtre.
Du coup, ta vie est en train de changer en ce moment…
Oui, par exemple, pour aller à l'école, je suis obligée de prendre un masque à gaz. C'est obligatoire pour tout le monde. Si jamais des avions allemands nous attaquent avec des bombes remplies de gaz, on met le masque et on est protégés. L'autre jour, près de la Tour Eiffel, on a vu des dames qui avaient décoré le boîtier de leur masque à gaz avec de la fourrure et des rubans de tissu.
C’est pour ça que tu as commencé à écrire un journal ?
J'ai 9 ans et je ne comprends pas grand-chose à ce qui arrive. Comme j'ai peur, ma mère m'a conseillé de raconter tout ça dans mon journal intime. Pendant ce temps, elle cherche du travail pour remplacer papa. Elle a déjà vécu une grande guerre, il y a longtemps, et elle se fait du souci.
Pourquoi tu écris sur Facebook ? Pourquoi pas un livre d'histoire ?
Parce que mes amis lecteurs peuvent me lire tous les jours, ils m’accompagnent dans mon quotidien, à n’importe quelle heure et où qu’ils soient. En plus, mes amis, avec leurs parents, peuvent me poser des questions, et moi répondre à leurs questions, quand j’ai le temps. Mon histoire va sûrement évoluer grâce à eux ! Les livres sont bien pour après.
C'est difficile de raconter sa vie ?
Non, ce n’est pas difficile. J'écris ce qui me passe par la tête, ce que je vois tous les jours. Mais je ne suis pas une héroïne ! Il y a beaucoup d’autres enfants comme moi. Mon histoire, c’est aussi la leur.
Et ton blog ? C’est la même chose ?
Non, c’est différent. C’est comme un mode d’emploi, avec des explications historiques de ce qu’il se passe, avec des dates, des grands personnages. C’est ma maman qui a écrit cette partie, mais c’est facile à lire. Il y a des jeux aussi, pour apprendre dans les écoles par exemple.
Qui sont tes lecteurs ?
Ils sont de tous les âges : il y a des enfants, leurs parents, mais surtout beaucoup de professeurs. Il y a même une classe qui me suit depuis les Etats-Unis ! Les professeurs se servent de mon histoire pour enseigner.
Qu’est-ce que tu veux leur dire ?
Beaucoup de choses. La guerre, c’est triste, c'est vrai, mais c’est aussi compliqué. Même les adultes autour de moi ne comprennent pas tout, ils se disputent beaucoup à propos de l’Allemagne. J’entends des noms... Daladier, Chamberlain... Ils ont l’air importants. Je vois des gens changer dans mon quartier. Mais à part ça, il y a aussi des moments joyeux. Pour mon anniversaire par exemple, j'ai rêvé que maman avait fait un gros gâteau avec de la crème, du chocolat et des framboises ! Je sais bien que c'est impossible parce que les framboises, ce n'est plus la saison, et que le chocolat, c'est cher et on a du mal à en trouver. Mais, maman m'a promis qu'on ferait quand même un gâteau. Elle me dit que c’est la même chose pour l’essence. Du coup, il y a beaucoup de vélos, 10 millions, pour 40 millions de Français !
Entretien réalisé avec la complicité d'Isabelle Bournier, directrice culturelle et pédagogique du Mémorial de Caen.
Pour suivre les péripéties de Suzon : son blog et sa page Facebook
Pour visiter le Mémorial de Caen : www.memorial-caen.fr