Musée de l’immigration : Benjamin Stora, et l’histoire reprend sa place

Un nouveau directeur pour un musée qui reste un peu confidentiel. Avec la nomination de l’historien spécialiste de l’Algérie, Benjamin Stora, sept ans après son ouverture, c’est l’occasion pour le Musée de l’immigration à Paris de prendre un nouvel élan pour donner envie de le découvrir. Réveiller ce bel endormi, c’est le défi que l’historien se promet de relever pour raviver nos mémoires.

C’est un musée niché à la porte de Paris, porte Dorée pour être précis, dans un bâtiment des années 1930 un peu trop grand, léché par le bois de Vincennes. Le Musée de l’immigration reste méconnu sept ans après son ouverture. Cette confidentialité est peut-être due en partie au fait qu’il n’a jamais été officiellement inauguré. Mais le vrai frein à la notoriété qui devrait être la sienne tient beaucoup à la modestie de son budget.

A moins de faire des miracles, et ils ne sont pas si fréquents, Benjamin Stora, le nouveau patron du Musée de l’immigration aura bien du mal à donner toute l’ampleur qu’il souhaite à ce lieu de mémoire. Avec un budget de 6 à 7 millions d’euros regrette-t-il, c’est nettement insuffisant pour s’offrir des campagnes de promotion dans les journaux par exemple. Comparaison n’est pas raison, mais il est difficile en effet de ne pas jeter un œil envieux sur le budget dont dispose le Musée du Quai Branly, près de 10 fois celui de l’immigration, pour constater à quel point les opérations de promotion y sont larges, fréquentes et productives.

La mémoire du parcours familial n’est jamais loin

Benjamin Stora, ce touche-à-tout, proche du président François Hollande qu’il conseille, a peut-être un portefeuille un peu plat, mais il ne manque pas d’idées. « Je veux montrer que depuis un siècle, dit-il, la France s’est construite et s’est appuyée sur des immigrés, des étrangers comme Chagall, Picasso, Modigliani. Sans oublier tous ceux qui ont travaillé durement, des millions d’anonymes qui depuis trente ou quarante ans ont œuvré au développement de la France. Il est temps de restituer leur itinéraire, ces trajectoires, ces mémoires. Voilà, l’objectif de ce musée, c’est cela, restituer les mémoires, faire en sorte qu’elles soient dans l’espace public ».  

En plus d’être un prolifique historien de la guerre d'Algérie reconnu, son nom figure dans l’édition 2014 du Larousse, Benjamin Stora apporte au Musée de l’immigration comme un sceau d’authenticité, sa propre histoire. Il a 12 ans en 1962 quand ce petit juif de Constantine doit s’arracher avec sa famille à la terre algérienne. Débute alors pour lui et les siens, une autre histoire, une autre aventure, « celle de la solitude, de la dispersion, bref l’exil », rappelle-t-il. Sans oublier toutefois l’« immense enrichissement » que lui apportera la France.

Quand il parle des immigrés qui doivent reconstruire leur vie, de leurs souffrances, c’est toujours avec cette empathie qui vient adoucir la rigueur du scientifique. Cela est bien perceptible entre autres dans les nombreux documentaires qu’il a réalisés sur l’Algérie*. C’est ainsi que la mémoire du parcours de ses parents n’est jamais loin, eux qui ont dû tout recommencer, sa mère à la chaîne chez Peugeot et puis ce garage qui servira de logement à la famille durant deux ans.

S’émanciper des tutelles politiques

Petit homme à la rondeur toute méditerranéenne, Benjamin Stora s’arrime depuis quatre décennies à travailler au corps la mémoire, lui qui a eu tant de mal à faire la part entre la fierté et la honte de ses origines. De cette vie, écorchée par l’histoire, il a fait le sel de son travail. Son arrivée au Musée de l’immigration devrait impulser un tournant dans la façon d’aborder la question de l’immigration et son histoire. Dans un premier temps, ses collaborateurs espèrent en tout cas que le musée bénéficiera de la notoriété de leur nouveau patron pour élargir son public.

 
Mais le changement qui s’amorce devrait aller bien plus loin. Si son prédécesseur, Jacques Toubon à qui il rend un hommage appuyé, était avant tout un politique, Benjamin Stora lui, en tant qu’historien spécialiste de l’Algérie, voit dans sa nomination « le symbole d’une réconciliation » qui redonne aux intellectuels toute leur place dans l’institution. « Elle marque aussi une volonté de s’émanciper des tutelles politiques », estime-t-il encore. On peut le souhaiter avec lui quand on relève le glissement opéré par la gauche au pouvoir sur la question de l’immigration, notamment sur les Roms à propos desquels le Premier ministre Manuel Valls déclarait en 2013 « qu’ils avaient vocation à rester en Roumanie ou à y retourner ».  

Interrogé sur sa nouvelle mission, Benjamin Stora insiste pour que le regard sur l’immigration se porte autant sur le passé que sur l’actualité et soit en prise avec les enjeux du présent. Le musée ne doit pas se complaire dans l’histoire ancienne, dit-il parce que « l’immigration demeure une thématique fiévreuse dans la société française, passionnelle, non consensuelle, difficile ». « On le voit avec les migrants de Calais, les Érythréens » et cette question, poursuit-il, « est peut-être plus difficile ici, parce que la France a du mal à se voir comme un pays de migrants ». Il insiste, « c’est une réalité qu’il faut regarder en face pour pouvoir l’intégrer dans un récit national, républicain, qui est celui de l’histoire de France ».

* Les années algériennes (France 2, 1991), Algérie, années de cendres (France 3, 1995), L'indépendance aux deux visages (France 5, 2002) et Conversations avec les hommes de la révolution algérienne (Chaine Histoire, 2003), François Mitterrand et la guerre d'Algérie (France 2, 2010), La Loi de mon pays (France 3, 2011), Guerre d’Algérie, la déchirure (coréalisé avec Gabriel Le Bomin, 2012), Notre Histoire (coréalisé avec Jean-Michel Meurice, 2012). Guerre d'Algérie, la déchirure (coréalisé en 2012 avec Gabriel Le Bomin).

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