France: le maire de La Courneuve prépare le déconfinement annoncé

En Seine-Saint-Denis, La Courneuve se prépare au déconfinement du 11 mai prochain. Dans cette commune de près de 43 000 habitants, tous les établissements scolaires sont classés en Réseau d'éducation prioritaire (Rep+). Entretien avec le maire, Gilles Poux, qui a reçu la visite du président de la République Emmanuel Macron il y a quelques semaines.

RFI : Le 7 avril dernier, le président de la République Emmanuel Macron s'est déplacé à La Courneuve. Qu’est-ce qui est ressorti de votre entretien, qui a duré plus d'une heure ?

Gilles Poux : Pour être honnête et sans partager la politique du gouvernement, nous avons eu une relation franche. J’avais en face de moi un homme qui avait envie de savoir ce qui se passait réellement dans nos quartiers populaires de Seine-Saint-Denis. J‘ai eu le sentiment d’avoir en face de moi quelqu’un qui n'était pas dans un numéro de représentation mais davantage dans une volonté de s’approprier une réalité et qui était prêt à écouter nos préoccupations.

C’est-à-dire ?

On a passé plus d’une heure ensemble avec des cadres de la ville et des responsables du secours populaire. Pour l'anecdote, à un moment donné le président Emmanuel Macron me pose la question suivante : "Mais vous, que feriez-vous aujourd'hui dans cette situation de confinement auprès des plus démunis ?" Je lui ai répondu clairement que je mettrais en place une prime. De la même façon qu’il en existe une en période de Noël ou en ce moment en direction des entreprises et que je considérais qu’il fallait aussi le faire en direction des couches populaires… Deux jours plus tard, le président annonçait la prime de 150 euros à destination des gens en difficulté sociale. Je ne dis pas là que c’est moi qui l'ai convaincu, mais bon.

Avez-vous, sur votre commune, pris des mesures particulières auprès de ces populations ?

Oui. Sur la période mars-avril, on a mis en place une prime de 100 euros par enfant pour toutes les familles qui répondaient aux trois premières tranches du quotient familial, soit une dépense de 350 000 euros pour notre commune. Nous avons aussi distribué gratuitement 25 tonnes de fruits et légumes dans différents quartiers de la ville. Et on a multiplié nos aides d’urgences (aide alimentaire, chèques services, etc.).

Après six semaines de confinement, estimez-vous avoir déjà « payé le prix fort » de cette pandémie sur votre territoire ?

Avec cette pandémie, toute l'économie du pays s’est arrêtée. Or dès qu’il y a récession, les populations les plus démunies payent le prix fort et sont tout de suite frappées. Donc oui, à La Courneuve, où près de 43 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, on a pris cher. Et puis en général, souvent ces personnes ont des petits boulots. Ce sont comme on les appelle « les petites mains de la République » : des chauffeurs Uber, des femmes de ménages des entreprises, des caissières, etc. Tous ces gens qui ont continué de travailler, qui n'ont pas fait de télétravail et qui ont potentiellement été davantage exposés au virus.

Pensez-vous que le déconfinement s’impose le 11 mai prochain ?

Je suis assez favorable à l’idée d’aller vers un déconfinement progressif. La situation actuelle est excessivement lourde pour les familles. Quand on est mal logé, entassé et qu’il n’y a plus de lien social, le confinement permanent est encore plus dur. De toute façon, on va devoir vivre encore plusieurs mois avec la menace de ce virus. Il faut apprendre à vivre avec. Mais pour cela il faut des engagements forts de la part des autorités et que des mesures sérieuses soient prises pour nous protéger.

Allez-vous rouvrir les écoles et les crèches municipales ?

Oui je vais rouvrir les 11 et 12 mai d’abord pour les personnels et les enseignants. Puis, le 14, on va d’abord accueillir les grandes sections de maternelle, les CP et les CM2, soit 25 % du volume des enfants scolarisés en temps normal. Cela afin de commencer petitement et expérimenter puis voir comment les choses peuvent fonctionner. Sur cette base-là, nous verrons au bout d’une quinzaine de jours comment les choses se passent. Ensuite toutes les écoles rouvriront. Les crèches quant à elles rouvriront aussi progressivement à partir du 12 avec des accueils différenciés, soit 10 enfants.

Avez-vous pris connaissance du protocole sanitaire ?

Oui bien sûr ! Mais le protocole fixé par l'Éducation nationale indique qu’une prise de température de l’enfant soit faite seulement lorsque celui-ci a de la fièvre. Or, sur notre commune, j’ai demandé à ce que la température soit prise systématiquement dès l’entrée de l'école et pour tout le monde. À savoir pour les enfants mais aussi pour tous les professionnels. On va aussi tout mettre en œuvre pour que les gestes barrières soient respectés, le non croisement des classes, les sanitaires… et mettre en place des signalétiques.

Sur des classes surchargées ?

Non. Sur la ville, toutes nos classes de CP et CE1 sont déjà dédoublées. Au lieu d’avoir 23 enfants par classe, j’en ai 12 pour le CP et CE1. Vous savez ces deux dernières années, j'ai ouvert 51 classes en dédoublement.

Les communes d’Île-de-France sont-elles sur le même terrain d’égalité face aux conséquences de cette pandémie ?

Si je regarde une commune comme la nôtre, nous avons dû prendre des mesures sociales très fortes comparé à des collectivités plus aisées qui n’ont pas jugé nécessaire d’avoir de tels actes. Déjà, habituellement sur ma commune, le nombre de personnes au RSA est 4 fois supérieur à la moyenne nationale. Et là, sur les chiffres du mois de mars-avril, les personnes inscrites au RSA ont augmenté de 25 %. Forcément cela aura des conséquences sur les moyens de notre collectivité et plus fortement comparé à d’autres communes qui ne sont pas dans les mêmes contraintes. Donc oui, ça va creuser les inégalités entre les communes. D’ailleurs ça pose la question de la métropole du Grand Paris, à savoir comment elle contribuera à un vrai rééquilibrage et à aider des villes comme la nôtre à faire face à la situation.

Êtes-vous inquiet pour l’avenir ?

Je fais surtout un constat : notre société, qui jusqu’ici a toujours fonctionné dans la course à la réussite individuelle et dans l'accumulation de richesse par quelques-uns vient de montrer ses limites. Un système qui, ne l’oublions pas, a dépouillé l’hôpital public en supprimant 68 000 lits sur ces quinze dernières années. Aussi, ce qui vient de se passer donne à réfléchir. Est-ce qu’on repart comme avant ? Est-ce qu’on se relance à corps perdu pour rattraper le retard de ces deux derniers mois ou est-ce qu’on essaye de construire une société un peu plus équilibrée et un peu plus humanisée ? Je crois que ça va être un des gros défis qui va s’imposer à nous.

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