Dans le contexte des débordements qui ont accompagné le mouvement des « gilets jaunes », le gouvernement souhaitait durcir les sanctions contre les auteurs de violences ou de dégradations. Pour aller vite, il a repris à son compte une proposition de loi du sénateur de Vendée, Les Républicains, Bruno Retailleau qui visait les black blocs. Pourtant, quand le texte avait été adopté par le Sénat en octobre, les représentants de La République en Marche avaient voté contre. La gauche, elle, dénonçait déjà une atteinte aux libertés, notamment de celle de manifester.
Malaise au sein de la majorité
Plusieurs points du texte concentrent les critiques, y compris au sein de la majorité. Et ce dès l'article 1. Cet article prévoyait initialement que le préfet puisse autoriser des palpations de sécurité et des fouilles de sacs « pendant les six heures qui précèdent » une manifestation et jusqu'à dispersion, « dans un périmètre délimité ». Plusieurs élus LREM et Modem se sont inquiétés d'une possible atteinte à la liberté de mouvement, mais aussi de la faisabilité de cette mesure qui nécessiterait de mobiliser des effectifs conséquents des forces de l'ordre. Le gouvernement doit donc proposer une nouvelle rédaction.
Parmi les autres points à revoir, on peut citer les interdictions administratives de manifester. Le texte initial proposait que les préfets puissent prononcer de telles interdictions à l'encontre d'individus susceptibles de représenter une menace grave pour l'ordre public, sous peine de six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende. Une trentaine de députés LREM ont déjà, en commission, réclamé en vain la suppression de cette disposition. Ils pointaient qu'elle risquait d'être déclarée inconstitutionnelle car attentatoire au droit de manifester; d'autant, soulignaient-ils, que la justice peut déjà prononcer ce type d'interdiction. La mesure doit donc être révisée en séance.
Plus de 200 amendements déposés
D'autres dispositions ont déjà été réécrites par les députés en commission. La création d'un fichier national dédié aux personnes interdites de manifestations, comme il en existe un par exemple pour les hooligans interdits de stade, a été retoquée, à l'initiative de la rapporteure LREM Alice Thourot. Selon la nouvelle disposition, il n'y aurait donc pas de fichier spécifique, mais les individus visés par une interdiction judiciaire à manifester seraient inscrits au Fichier des personnes recherchées, qui existe déjà.
Autre exemple, concernant la création d'un nouveau délit de dissimulation du visage, passible d'un an de prison et 15 000 euros d'amende. Les députés ont précisé en commission que le port d'un casque ou d'une cagoule ne suffirait pas à constituer ce délit : il faudra aussi démontrer que la personne avait l'intention de participer à des troubles.
En tout, plus de 200 amendements vont être débattus ces mardi et mercredi, avant un vote solennel le 5 février. Le projet de loi retournera ensuite devant le sénat le 12 mars en deuxième lecture.
Exercice d'équilibriste
Avec cette loi, les autorités espéraient envoyer un message de soutien aux forces de l'ordre, tout en évitant que le texte soit perçu comme « anti-gilets jaunes », ce dont se défend d'ailleurs le ministre de l'Intérieur. « C'est une loi qui protège, qui protège les manifestants, qui protège les commerçants, qui protège les habitants et qui protège les policiers », a souligné ce mardi 29 janvier le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, sur BFMTV. C'est donc bien un exercice d'équilibriste délicat qui va se jouer à l'Assemblée, d'autant que le texte ne fait pas que susciter le malaise au sein de la majorité. Pour l'opposition de gauche, le texte est globalement jugé « liberticide ». La France Insoumise compte aussi profiter du débat pour évoquer les violences policières et tenter de faire interdire l'usage des lanceurs de balle défense et des grenades de désencerclement.
Les Républicains dénoncent eux le détricotage de leur proposition de loi initiale. Enfin, du côté du Rassemblement National, Marine Le Pen a annoncé il y a quelques jours que son parti voterait « probablement » cette loi. Un soutien dont se serait peut-être bien passé le gouvernement.