En plein automne, du côté de Chilly-Mazarin en banlieue parisienne, la pluie est glaciale, mais toutes les filles sur le terrain d’entraînement s’en accommodent. Ce n’est pas la grisaille ou le froid de novembre qui va freiner leur ardeur.
Léa, qui a commencé le rugby à l’âge de 11 ans au collège, a trouvé ce sport « assez sympa ». Sur les mêmes horaires, elle aurait aussi pu apprendre l’italien. L’apprentissage de cette langue étrangère attendra, elle a choisi le ballon ovale pour s’épanouir et aussi s’amuser.
« Le rugby, c’est magique ! »
« Au début, j’adorais l’idée de ne pas me faire attraper, raconte la jeune fille qui est désormais en sport-études. J’avais besoin de me défouler et le rugby m’a canalisé. Aujourd’hui, quand je vois les Bleues, je me dis que le rugby c’est magique ! » Surtout, Léa ne veut pas faire de différence entre les filles et les garçons. « Tout le monde a le droit de faire du sport, peu importe le sexe », s’étonne la jeune fille, à l’allure svelte, quand on lui pose la question. Une phrase qui sonne en écho à la réflexion de Pierre Camou, ancien président de la FFR, qui avait dit : « Le rugby féminin, ce n'est ni du rugby, ni féminin ».
S’il a fallu attendre 1989 pour que le rugby féminin soit intégré à la Fédération française, le regard sur les féminines a beaucoup changé depuis. Et il devrait encore évoluer après la victoire historique des joueuses françaises sur les championnes du monde néo-zélandaises (30-27) le 17 novembre 2018. En mars dernier, les Bleues avaient remporté leur sixième Tournoi des six nations.
Dimanche 25 novembre, Jessy Trémoulière est devenue la première Française de l’histoire à décrocher le prix World Rugby de la joueuse de l’année. « Nous étions quatre Françaises parmi les cinq nommées au titre de la meilleure joueuse, cela montre que c’est tout le rugby féminin français qui est à l’honneur », déclare la lauréate.
« J’aime le rugby féminin car c’est très fluide »
« Félicitations à Jessy Trémoulière. C'est une grande fierté pour le rugby français. L'équipe de France Féminine écrit chaque jour son histoire », indique dans un communiqué le vice-président de la Fédération française de rugby Serge Simon. Après la victoire euphorique face aux Anglaises lors du Tournoi des 6 nations 2018, les Bleues sont entrées dans une nouvelle dimension.
Malgré cette nouvelle médiatisation, quand Léa annonce qu’elle joue au rugby, les gens restent dubitatifs en imaginant qu’il faut forcément un physique de déménageur. Christophe, père de famille, était, lui, un peu réticent quand sa fille lui a parlé de son envie de pratiquer le rugby. « On est là pour protéger ses enfants et au départ, je me posais des questions. Mais elle a été très bien encadrée. J’aime le rugby féminin car c’est très fluide, beau à voir et sans brutalité. C’est le vrai jeu d’évitement et de passes. Je la suis partout », avance-t-il avec fierté. Désormais sa fille est en sélection avec le pôle Ile-de-France et s’entraîne chaque jour.
Le rugby est, en France, l’un des sports où la part des femmes a le plus considérablement augmenté ces dernières années. Il est en progression constante depuis 2010. Si les rugbywomen n’étaient pas 10 000 en 2010, 21 882 joueuses ont été recensées en juin 2018 contre 17 110 l’année précédente. Et plus de la moitié des licenciées ont moins de 18 ans. Une hausse qui par rapport au nombre global des licenciés de la FFR est plutôt à la baisse ces dernières années.
« Les filles se respectent plus que les garçons »
« On cherche moins l’affrontement et c’est un sport de copines. On a beaucoup travaillé le côté collectif pour pouvoir avoir des résultats. La difficulté pour elles est de continuer après le BAC », raconte Stéphanie Chanaud. L’ancienne athlète, qui désormais entraîne, a pratiqué pendant 20 ans ce sport collectif né en Angleterre au 19e siècle.
« Les filles se respectent plus que les garçons. Surtout, elles écoutent beaucoup plus et elles sont très matures par rapport aux jeunes filles de leur âge qui ne font pas de sport. Elles sont en avance sur leur âge. Elles prennent de la force morale même si elles restent sensibles. Elles font très attention à ce qu’elles me disent », explique Richard Desailly, 73 ans, qui les entraîne depuis plus de vingt ans.« C’est cool, ça me fait du bien d'être avec cette jeunesse », ajoute au passage ce vétéran du ballon ovale encore largement capable de courir vite sur le terrain.
« Aujourd’hui, quand on est une fille, on ne se demande pas si on peut faire du rugby ou pas. Moi, à 14 ans, je voulais faire du hockey sur glace et c’était interdit. Le milieu est très machiste et c’est très bien. Le rugby féminin amène du spectacle et c’est génial », conclut avec enthousiasme Stéphanie Chanaud.
La pluie n’a pas cessé de tomber durant toute la soirée. Malgré le froid et la fatigue, à l’heure de se donner rendez-vous à la semaine prochaine, les filles ont encore le sourire aux lèvres.