A Lupino, l’un des quartiers défavorisés dans le Sud de Bastia, les tours des logements sociaux sont peints en jaune vanille, abricot et ocre, les couleurs du Sud, et la mer est en bas de la rue.
Il n'empêche que certains habitants des quartiers ressentent de l'amertume. Au zinc du Monte Cristo, Jean et Tony, artisans à la retraite, prennent le café comme chaque matin. Pour l'élection présidentielle, leur choix est fait : Ils vont voter pour le Front National, qui défend, selon eux, l’intérêt des Français. Pour Tony, « les étrangers travaillent et les Français sont au chômage… Ce n’est pas normal. »
Le barman du Monte Cristo s'appelle Jean-Luc, comme Jean-Luc Mélenchon, « le meilleur candidat », selon lui.
Sur la terrasse du café, Tony et Jean profitent du soleil printanier. Ils observent les ouvriers qui repeignent la façade de l'immeuble en face, « vous voyez, tous des étrangers ! » et abordent les dernières élections municipales remportées haut la main par les nationalistes... C'est pour eux qu'ils votent au niveau local.
Un comportement électoral qui était inimaginable il y a un certain temps : En 1992, des manifestants nationalistes avaient carrément bloqué l'aéroport de Bastia, pour empêcher l'atterrissage de Jean Marie Le Pen… qui a dû faire demi-tour.
Le nationalisme corse : incompatible avec le Front National
Voter tantôt pour les nationalistes corses, tantôt pour le Front National... cela exaspère Didier Grassi, élu nationaliste à la Mairie de Bastia : «On ne partage, bien sûr, aucunement les positions prises par le Front National.» Didier Grassi souligne : «Aux élections territoriales, le Front National reste à un niveau marginal, ça reste très en deçà des taux réunis sur le continent.» Ce sont les nationalistes, qui ont remporté largement les dernières élections territoriales en raflant plus de 35% des suffrages : Une victoire historique qui les porte pour la première fois à la tête de la Collectivité territoriale de Corse.
Mais étant donné que les nationalistes corses ne présentent par définition pas de candidat à l’élection présidentielle, où vont alors les votes des Corses qui contestent la politique menée par les ministères à Paris ? Si pendant longtemps, ces voix profitaient à la gauche ou à l’extrême gauche, elles se portent aujourd’hui de plus en plus vers l’extrême-droite, déplore Didier Grassi.
Pour le politologue André Fazi «il y toujours une dimension de vote contestataire au sein de l’électorat. Et en Corse, le vote nationaliste la capte beaucoup mieux que le Front National qui est très peu organisé, très peu structuré, à l’inverse des Nationalistes.» André Fazi observe, lui aussi, que certains Corses peuvent voter nationaliste aux élections locales et FN à l’élection présidentielle. «En revanche, les militants et sympathisants nationalistes sont véritablement hostiles au Front National, qui est, lui, très hostile à leurs positions de base comme la reconnaissance d’un peuple corse, comme l’octroi d’un pouvoir législatif régional, comme la co-officialité de la langue corse.»
Fait ironique, ajoute André Fazi, le Front National tente aujourd’hui de séduire les Corses en braconnant les slogans des Nationalistes.
Braconnage des slogans… et prise en otage de la bandera, du drapeau corse, souligne Mounir Ghazali, qui se dit "Corse d'origine marocaine" : «Ce qui est regrettable c’est qu’il y a des groupuscules d’extrême droite qui prennent même en otage des idées nationalistes, qui à la base n’ont rien à voir avec le nationalisme français de l’extrême droite, qui n’ont strictement rien à voir ! Ils les utilisent pour grandir ici en Corse. Mais l’extrême droite corse n’a rien à voir avec le nationalisme insulaire !»
« Quelle différence il y a entre un Français et un étranger ? »
Au Monte Cristo, un autre retraité, Feliz Antoine Bernardini, a rejoint la tablée. Il est nationaliste et ... mélenchoniste : «Mélenchon est le meilleur. Il est le plus sérieux ! Quand il parle, il est sérieux.»
Quant à la question de l’immigration, Feliz-Antoine Bernardini se situe aux antipodes du discours de Jean et Tony, les deux artisans à la retraite. Il les interpelle vivement : «Dites-moi, quelle différence il y a entre un Français et un étranger ? Aucune ! Moi, je ne suis pas raciste. Les étrangers sont comme les autres !»