Mis à jour après le meeting de François Fillon jeudi 9 février
« Aujourd’hui candidat à l’élection présidentielle, je fais face à une attaque d’une violence inouïe ». Ce 6 février, après deux semaines de révélations quasi quotidiennes sur des soupçons d’emplois fictifs et de conflits d’intérêts, François Fillon passe à la contre-attaque. Devant les quelque 250 journalistes réunis à son QG de campagne, il dénonce un « lynchage médiatique », accuse Envoyé spécial d’avoir mené « une émission à charge » en sortant de son contexte un extrait d’interview accordée en 2007 à une journaliste britannique qui, assure-t-il, s’est dite choquée – ce que l’intéressée dément rapidement sur Twitter. « Ce n’est pas au système médiatique de me juger », affirme François Fillon.
La stratégie est classique. Elle est employée presque à chaque fois qu’un homme politique est impliqué dans un scandale politico-financier. En se déclarant victime d’une cabale médiatique, il inverse les rôles : accusé, il devient accusateur, et détourne ainsi l’attention du fond de l’affaire. « C’est le messager qui est en cause, qui est accusé de tous les maux, plutôt que le message. Les Français se méfient des médias, donc les politiques en jouent », analyse l’historien des médias Patrick Eveno dans Le Monde.
Les médias, « deuxième peau du système »
Les médias représentent en effet le bouc émissaire idéal. Leur crédibilité est en chute libre. Moins d’un Français sur deux leur fait confiance, révèle le dernier baromètre Kantar pour La Croix. Alors les politiques enfoncent le clou. A l’image de Manuel Valls, le 13 décembre dernier, lorsqu’il leur reproche d’être l’incarnation du « système ». « C’est vous qui êtes enfermés dans le système, qui représentez le système, ce dont les Français ne veulent plus », s’irrite-t-il lorsque les journalistes lui demandent s’il n’en est pas lui-même le candidat. Ou comme Jean-Luc Mélenchon qui, le 7 avril, estime que les médias sont « la deuxième peau du système ».
De l’extrême droite à l’extrême gauche, ils sont de plus en plus nombreux à fustiger ce « système », dont ils ont chacun leur propre définition : pour François Fillon, il représente l’ordre établi ; pour Jean-Luc Mélenchon, une forme d’oligarchie ; pour Marine Le Pen, il regroupe « les élites », la « caste ». En y associant les médias, les politiques reprennent à leur compte une critique en vogue depuis le XIXe siècle, qui les accuse d’être soumis aux puissances de l’argent. Jusqu’à devenir, selon Lionel Jospin en 2005, « une aristocratie sûre de ses droits ». En cause, le fait que les groupes de presse soient détenus par une poignée de grands patrons. Mais aussi des soupçons de connivence et d’entre-soi entre les élites économiques, politiques et les grandes figures des médias, que pointent les travaux de Serge Halimi (Les Nouveaux Chiens de garde) ou de Pierre Carles, et les sites militants tels qu’Acrimed.
« Merdias » et « journalopes »
A cette critique sociale s’ajoute une critique réactionnaire qui, dans une vaste entreprise de décrédibilisation menée sur Internet, accuse « merdias » et « journalopes » de propager « une pensée unique » en se faisant les chantres du « politiquement correct ». Leurs prétendus mensonges sont même récompensés par des « Bobards d’or » lors d’une cérémonie annuelle organisée depuis 2010 par la fondation Polémia, présidée par l’ancien député FN Jean-Yves Le Gallou. Face à des « médias de propagande » accusés de diffuser « la doxa de l’oligarchie », « le temps des médias alternatifs créateurs de contenus d’information est venu », a promis le maître de cérémonie lors de l’édition 2017. Parmi ces « médias alternatifs » que vante Jean-Yves Le Gallou, on retrouve notamment Novopress, Boulevard Voltaire ou Fdesouche, des sites de « réinformation » dont l’islam, les banlieues et l’immigration sont les thèmes de prédilection. Ou encore l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (OJIM) qui, derrière son apparente neutralité, cherche à jeter le discrédit sur les journalistes en révélant leurs engagements associatifs ou militants.
Cette volonté de contourner les médias traditionnels n’est pas propre à l’extrême droite. Tout en continuant à courir les plateaux de radio et de télévision, les politiques de tous bords s’y essaient aussi. Conscients de la puissance des réseaux sociaux et soucieux de ne plus voir leurs idées limitées à la petite phrase qui fera le buzz, ils sont désormais plusieurs à miser sur YouTube. Au point que Le Figaro s’interrogeait en janvier : « Réseaux sociaux contre journalistes : assiste-t-on à une révolution anti-médiatique ? »
Stratégique ou légitime, la défiance envers les médias dépasse désormais le simple cadre des mots. Il n’est plus rare que des journalistes couvrant des événements soient pris à partie, comme lors du dernier meeting de François Fillon à Poitiers jeudi 9 février où les médias ont été copieusement hués. Lorsqu’ils ne sont pas carrément interdits d’entrée, comme ce fut le cas pour les équipes de Quotidien et Mediapart lors du rassemblement du FN à Fréjus en septembre dernier. Mais en soufflant sur les braises, les politiques font craindre que cette défiance ne se transforme en guerre ouverte.