C’est un îlot microscopique de l’océan Indien, mais qui a provoqué un début de tempête chez les parlementaires. Son nom : l’île Tromelin. Situation géographique : à près de 500 kilomètres au nord-est de Madagascar et presque autant de La Réunion. Superficie : environ un kilomètre carré, soit la moitié de la superficie de la principauté de Monaco. Population : plus aucun habitant depuis l’automatisation de la station météo. Nationalité : elle est administrée par les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), mais revendiquée par l’île Maurice.
Voilà le pedigree de ce petit caillou ou plutôt de ce banc de sable balayé par les vents, mais « petit bout de France » quand même, qui a provoqué tant d’agitation dans les couloirs de l’Assemblée.
En cause, l’approbation de l’accord-cadre sur la cogestion économique, scientifique et environnementale de l’île et de ses espaces maritimes environnants entre la France et l’île Maurice. Une façon d’apaiser les esprits, car depuis 1976, Port-Louis revendique la souveraineté de l’îlot. Et les tensions sont récurrentes, en particulier avec l’île française de La Réunion.
Signe de la sensibilité du dossier, il a fallu vingt ans de négociations pour qu’un accord soit signé le 7 juin 2010. Depuis, le texte a été adopté au Sénat en 2012, puis en commission à l’Assemblée au printemps 2013. Mais la même année, le texte avait été retiré de l’ordre du jour, déjà sous la pression de députés opposés au projet.
En soi, cet îlot quasiment plat a un intérêt limité. Mais son principal enjeu réside dans son domaine maritime. 280 000 kilomètres carrés, ce qui représente 2,8% de la Zone économique exclusive française [la zone sur laquelle un pays exerce sa souveraineté en matière d’exploitation des ressources, ndlr].
Cette fois-ci, ce sont plusieurs partis, du centre à l'extrême droite en particulier, qui se sont mobilisés ces derniers jours pour dire tout le mal qu’ils pensaient de cet accord, qu’ils comparent à un « abandon de souveraineté », comme Phillippe Folliot, député UDI (centristes) du Tarn, en tête du mouvement. Avec ses collègues Gilbert Le Bris du Parti socialiste et Laurent Furst des Républicains, ils ont lancé une pétition qui a recueilli plus de 11 600 signatures. Mais aussi Marine Le Pen, qui a dénoncé dans un communiqué un projet « ayant pour vocation de brader une parcelle du territoire national ».
Et ses collègues « patriotes » sur Twitter.
Mardi, dans un souci d’apaisement, indique l’AFP citant une source parlementaire, les débats prévus ce mercredi ont donc été annulés. Et de source diplomatique, toujours citée par l’AFP, ce retrait du texte a été justifié par le fait qu’« un débat irrationnel s’est emparé d’un certain nombre de groupes politiques » vu le contexte électoral.
Philippe Folliot s’en défend. Pour lui, c’est un thème « transpartisan ». L’élu juge ce traité « inique », « déséquilibré ». « C’est une grande satisfaction, une belle victoire que le gouvernement ait fait preuve de sagesse, qu’il ait entendu les arguments qui étaient les nôtres », se félicite-t-il.
Ses craintes ? Une mauvaise gestion des ressources naturelles. « Autoriser des bateaux à venir pêcher dans les eaux territoriales, près des côtes qui sont une nursery, c’est-à-dire l’endroit où les poissons viennent se reproduire, c’est quelque chose d’irresponsable sur un plan économique, sur un plan de souveraineté, mais qui est aussi irresponsable sur un plan écologique et environnemental », précise-t-il.
Mais surtout, pour Philippe Folliot, le risque c’était de « créer un effet domino », un « précédent Tromelin ». Et de citer Madagascar qui lorgne sur les îles Epares, « où l’on parle de ressources en hydrocarbures de l’ordre de celles de la mer du Nord. Mais aussi, au Mexique, à Clipperton. Cet accord, c’était le début du détricotage de notre domaine maritime », estime-t-il. « L’article 1 de notre Constitution dit que notre République est une et indivisible, si ce traité avait été signé, elle n’aurait plus tout à fait été une, plus tout à fait indivisible », revendique-t-il.
Pourtant, Matthias Fekl, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur, l’a redit à l’Assemblée : cet accord ne remet pas en cause « la souveraineté de la France ». Et il est vrai que dans l’accord, il n’a jamais été question de « cession », mais de partage de la gestion. Au contraire, l’accord laisse volontairement de côté la question de la souveraineté. Et dans le rapport de 2013 de la commission des Affaires étrangères ouvrant la voie à l’approbation du texte, il est rappelé qu’aucun élément de l’accord « ne peut être interprété comme un changement de position (de la part de la France ou de Maurice sur la question de la souveraineté) ».
En attendant, les discussions sur cet accord ont été repoussées à la prochaine législature.
■ Une mission à la recherche de l'histoire des esclaves oubliés
Max Guérout est directeur des opérations du Groupe de recherche en archéologie navale (Gran). Il a dirigé quatre expéditions archéologiques d’un mois et demi sur l’île Tromelin en 2006, 2008, 2010 et 2013. Avec Thomas Romon, à la tête des recherches en archéologie terrestre, il a co-écrit Tromelin, l’île aux esclaves oubliés. Il nous raconte cette histoire particulière.
RFI : Comment des esclaves se sont-ils retrouvés sur cette île ?
Max Guérout : Cette île est découverte en 1722 par un bateau de la compagnie des Indes. En 1760, un bateau de la compagnie des Indes, l’Utile est armé à Bayonne pour aller dans l’océan Indien porter du matériel à l’île de France, l’île Maurice actuelle. A son arrivée, on l’envoie chercher des vivres à Madagascar, mais on lui interdit de ramener des esclaves. Le capitaine du bateau contrevient à l’ordre et embarque 160 esclaves malgaches, pensant pouvoir les vendre, tout en les débarquant non pas à l’île de France, mais à Rodrigues, une île à l’ouest de Maurice. Pour ce faire, il utilise une route inhabituelle et passe dans les parages de cette l’île, l’île de Sable (aujourd’hui île Tromelin), dont les positions sur les cartes ne sont pas cohérentes. Il s’échoue sur cette île déserte pendant la nuit, en juillet 1761. Le naufrage est brutal et fait une vingtaine de noyés parmi l’équipage français ainsi que la plupart des esclaves parqués dans la cale, le bateau n’étant pas équipé pour transporter ce type de cargaison. De plus, on a cloué des planches. Au moment du naufrage, personne ne prend la peine de les libérer. En plus, comme ce sont des gens qui viennent des hauts plateaux de Madagascar, ils n’ont aucune expérience de la mer.
Combien de temps sont-ils restés sur l’île Tromelin ?
Les marins français rescapés construisent une embarcation de fortune avec les débris de l’épave en deux mois et s’en vont en laissant environ 80 esclaves malgaches. Mais ils leur promettent de revenir les chercher. Il faudra en fait attendre 15 ans pour que cette promesse soit tenue en novembre 1776. Car le gouverneur de l’île de France refuse d’envoyer un bateau, malgré la persévérance du second du bateau. C’est finalement celui-ci qui réussira à envoyer des secours. Le premier bateau envoie une embarcation avec deux marins, mais celle-ci se brise sur le récif. L’un des deux marins regagne son bord et l’autre se retrouve avec les Malgaches. D’autres tentatives de sauvetages échouent. Lors du sauvetage final, quelques mois plus tard, on ne retrouvera que sept femmes et un bébé de huit mois.
Comment ces esclaves ont-ils pu survivre 15 ans sur une île déserte ?
Lors de nos recherches, nous avons commencé par l’épave de l’Utile. Mais nous n'avons pas trouvé grand-chose, car l’île est dans une zone où passent les cyclones, donc peu de vestiges sous-marins subsistent. Par contre, à terre, comme les naufragés ont construit des habitats, les vestiges ont servi d’écrans au vent et au sable. On a donc retrouvé beaucoup d’objets du quotidien des naufragés et surtout beaucoup d’informations sur ce qu’ils avaient mangé, comment ils ont fait du feu : on a trouvé des briquets et du silex. On savait déjà que si les naufragés ont pu survivre, c’est que les marins français avaient creusé le centre de l’île et y avaient trouvé de l’eau buvable, même si elle était saumâtre. La nourriture était constituée essentiellement de tortues et d’oiseaux. Beaucoup de tortues viennent pondre ici. Quant aux oiseaux, ils sont plutôt petits, mais ils vivent en colonies par milliers. Peu de poisson en revanche, car la mer est très difficile.
Qu’est-ce qui vous a marqué lors de ces fouilles ?
Ce qui nous intéressait surtout, c’était de savoir comment ce groupe d’individus s’était comporté : avaient-ils été complètement écrasés par leur situation ou avaient-ils géré leur condition ? On a vu par exemple qu’ils ont construit des habitats en pierre, avec des blocs de corail plus exactement. Alors qu’à Madagascar, il était interdit de construire des habitats en pierre, la pierre étant réservée aux tombeaux. Donc pour se décider à vivre dans ce qui culturellement pour eux constituait des tombeaux, cela a forcément dû être une décision difficile et commune. Donc on peut dire qu’ils ont reconstitué un semblant de société, que ces gens qu’on a d’abord considérés comme sans humanité, laissés seuls, se sont comportés comme des hommes debout.
A (RE)ECOUTER : Sylvain Savoia, auteur de «Les esclaves oubliés de Tromelin»