« Michel Déon nous a quittés. C'est une grande perte pour l'Académie. Il en était la mémoire et la conscience. Michel Déon a eu une très longue vie académique depuis son élection en 1978 au fauteuil de Jean Rostand » : c'est par ces mots que la secrétaire perpétuelle de l'Académie française, Hélène Carrère d'Encausse, a annoncé la disparition de l'écrivain qui était aussi le plus ancien élu de l'Académie après Jean d'Ormesson.
Michel Déon est l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages, surtout des romans, dont Les Poneys sauvages (1970), couronné par le prix Interallié, et Le Taxi mauve (1973),grand prix du roman de l'Académie française, adapté au cinéma avec Philippe Noiret et Charlotte Rampling. Homme de droite et ancien secrétaire de rédaction à L'Action française de Charles Maurras, il témoignait dans ses livres d'une grâce désenchantée et d'une nostalgie à la fois désinvolte et amère. Son nom était rattaché au mouvement des « Hussards », dont il était le dernier représentant. « Ils ont apporté la jeunesse de ce qu'on appelait les Hussards. Ils ont apporté un souffle d'imagination et de fantaisie à l'Académie », a souligné Hélène Carrère d'Encausse.
Romancier du bonheur perdu
Homme de droite à l'élégance de gentleman-farmer, Michel Déon était le romancier du bonheur mais du bonheur perdu. Son oeuvre, forte de quelque 50 fictions, pièces, chroniques de voyages et entretiens, était aussi marquée par une détestation d'un certain monde moderne. Démocrate par raison et monarchiste sans illusions, il ne détestait pas les causes perdues « parce que ce sont celles d'une minorité ». « Au fond, assurait-il, je penche pour une société aristocratique. »
Se séparant rarement d'une casquette en tissu pied-de-poule et de vestes en tweed ou à chevrons, cet amateur de pipes et de whisky dénonçait en vrac le « droit-de-l'hommisme », la libération sexuelle, de Gaulle, l'art contemporain ou encore les philosophes qui furent « nouveaux ».
La vie est sérieuse et l'amour tragique
« Nous allons vers un monde où il y aura de moins en moins de poneys sauvages », regrettait ce nomade sédentaire à l'incurable individualisme. Sans doute le poids de la modernité lui paraissait-il moins lourd à porter à l'étranger. Il a passé une bonne partie de sa vie dans des endroits de rêve: l'île grecque de Spetsaï dans les années 1960 d'abord et le comté irlandais de Galway ensuite, une de ses « arches de Noé » auxquelles il a rendu hommage dans un livre de souvenirs portant ce titre. Là, dans leur presbytère, lui et sa femme élevaient des chevaux. Il croisait parfois Michel Houellebecq qui avait sa sympathie.
Pour Michel Déon, la vie était sérieuse et l'amour tragique. Dans la lignée de Stendhal, de Morand et de Chardonne, il a créé un univers romanesque discrètement autobiographique, souvent inspiré de ses voyages et mettant en scène des héros d'exception. Bienheureux dans son existence, il racontait des histoires d'amour vouées à l'échec. Son ami, l'écrivain Patrick Besson, l'a très bien croqué: « C'est un homme au grand coeur mais c'est surtout un homme au coeur gros, son vrai sujet est le chagrin, il se sent en permanence privé de quelque chose. »
Né le 4 août 1919 à Paris sous le nom d'Edouard Michel, le futur écrivain devient orphelin de père à l'adolescence et prend plus tard le nom de Michel Déon. Il connaît la guerre à vingt ans, après des études de droit. Mobilisé, il est très marqué par la débâcle de l'armée française, « cette honte dont on ne se remet pas ». Il devient en 1942 secrétaire de rédaction à l'Action française repliée à Lyon, aux côtés de Charles Maurras. Déjà, il n'aime pas de Gaulle. Il n'oubliera pas non plus Dien Bien Phû ou l'Algérie, qualifiées d'« impostures ».
Adversaire de Sartre
Il participe à l'aventure des « Hussards », courant littéraire qui réunit notamment Roger Nimier, Antoine Blondin et Jacques Laurent, ces amoureux des phrases courtes et cinglantes, adversaires de Jean-Paul Sartre et d'un existentialisme honni. Noctambule parisien, il écrit beaucoup, sans grand succès, avant de voyager et de s'éloigner de la France. Dans les années 1970, les gros tirages vont arriver avec l'honneur d'entrer à l'Académie.
Pudique, ce père de deux enfants a juste laissé entrevoir des bribes de sa vie dans le livre-entretien accordé à sa fille Alice, Parlons-en. On lui devait aussi des titres comme Les trompeuses espérances, Le rendez-vous de Patmos, Le jeune homme vert, Le balcon de Spetsaï, Je vous écris d'Italie, Je me suis beaucoup promené, La montée du soir ou Un souvenir.
Interrogé en 2004 sur les ondes de RFI par Pierre-Edouard Deldique, Michel Déon avait dressé une sorte d'autoportrait. « Je suis quelqu'un qui aime beaucoup la vie, qui a été obligé plusieurs fois dans son existence d'abandonner des situations heureuses, disons souvent aussi des amours ou bien alors des lieux qui m'avaient enchanté et protégé. Alors il m'en reste certainement un petit peu de nostalgie, mais c'est une nostalgie que je m'acharne à combattre, n'est-ce pas, de façon à ce qu'elle ne tempère pas trop ce que j'écris, et qu'elle ne s'insinue pas et me fasse passer pour un nostalgique, un homme qui regrette toujours le passé, alors que le présent m'intéresse aussi énormément et même un peu le futur ».