« C’est un combat pour l’honneur, la crédibilité et pour la déontologie des journalistes. » Le ton est donné, mardi à la mi-journée, au pied des immeubles gris de la banlieue de Paris. « C’est un combat essentiel pour nous tous », renchérit Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ).
Plusieurs centaines de personnes sont rassemblées sur le parvis du 1, rue des Enfants du Paradis, à Boulogne-Billancourt, devant le siège d’i-Télé. Au milieu des pancartes et des t-shirts #jesoutiensiTélé, le hashtag lancé par les grévistes sur les réseaux sociaux, on croise surtout des journalistes. Une partie travaille pour la chaîne d’information en continu, beaucoup sont venus d’autres rédactions. Certains pour couvrir le rassemblement, les autres par solidarité.
« Quand on voit tous ces soutiens qui sont exprimés jour après jour, on se dit qu’on combat pour quelque chose qui nous dépasse, qui est plus noble, qui est digne, qui s’appelle l’indépendance. » Guillaume Auda, grand reporter à i-Télé, est l’un des porte-parole des grévistes. Le combat pour l’indépendance, ils le mènent contre la direction de la chaîne, et contre l’actionnaire principal de Canal+, qui possède i-Télé, Vincent Bolloré. Ils réclament la définition d’une ligne éditoriale claire pour CNews (le futur nom d’i-Télé) et la rédaction d’une charte de déontologie.
Le prix de l’indépendance
Les journalistes craignent que CNews serve plus à faire valoir les intérêts du milliardaire Vincent Bolloré qu’à l’information des téléspectateurs. Le virage opéré par l’homme d’affaires après le rachat de Canal+ ne laisse pas de doute : sur la chaîne à péage, plus de sport, plus de films, plus de divertissement, moins de journalisme. Du côté d’i-Télé, on s’inquiète de ces évolutions. Et l’arrivée de Jean-Marc Morandini a mis le feu aux poudres. L’animateur, ami de longue date de Vincent Bolloré, est mis en examen pour « corruption de mineur aggravée ».
« Il y a des gens ici qui ne veulent pas changer de vie. Ils n’ont jamais rien fait d’autre que du journalisme, et ils veulent continuer à en faire à i-Télé », s’alarme Stefan Etcheverry, un autre représentant des grévistes. « Tous les jours, on se réunit, on discute et on vote pour savoir si l’on continue la grève », explique le journaliste. Jusqu’à présent, les votes pour la poursuite du mouvement dépassent souvent les 90%.
« Le problème c’est que cette grève a un coût. On n’est pas payé, et pour ceux qui touchent un petit salaire, c’est un problème », s’inquiète Stefan Etcheverry. Avec son t-shirt #jesoutiensiTélé, il déplore les pratiques des ressources humaines : « Elles nous appellent au téléphone, pour nous parler des conditions de notre départ, mais on est plein à aimer cette chaîne, on ne veut pas en partir. »
Chronologie de la grève à i-Télé :
C’est la deuxième fois depuis le début de la grève que les journalistes d’i-Télé en appellent à leurs collègues d’autres rédactions pour venir les soutenir. Retour sur la chronologie du mouvement.
7 octobre : La direction de Canal+ confirme que Jean-Marc Morandini, annoncé depuis juin sur i-Télé, tiendra bien une émission sur les médias, en direct, de 18h à 19h, tous les jours. Les plaintes pour « harcèlement sexuel » et « travail dissimulé » déposées contre lui pendant l’été, et sa mise en examen pour corruption de mineur n’ont pas découragé les dirigeants de la chaîne, qui font valoir la présomption d’innocence.
17 octobre : le jour de la première de Morandini Live, l’émission éponyme de l’animateur, les journalistes d’i-Télé se réunissent. A midi, ils votent à une large majorité la grève pour 24 heures. Ils réclament le départ de Jean-Marc Morandini, mais surtout la définition d’un plan clair pour l’avenir de la chaîne. L’émission est quand même diffusée, en direct, et réunit 104 000 téléspectateurs. Aucune publicité n’est diffusée, les annonceurs désertent le programme.
18 octobre : l’émission divise sa part d’audience par deux, et tombe à 58 000 téléspectateurs (0,5% de part de marché). Les journalistes d’i-Télé appellent à la mobilisation de leurs confrères des autres rédactions. La grève est reconduite, et le lendemain, le directeur général de Canal+ annonce que Morandini Live sera diffusée à 9h au lieu de 18h à partir du lundi suivant.
20 octobre : Le Conseil supérieur de l’Audiovisuel convoque pour sa part Jean-Cristophe Thiéry, président du groupe Canal. Le CSA se dit « vivement préoccupé », et déplore la « disproportion entre les enjeux liés à l’avenir de [la] chaîne et ceux propres à la situation d’une personnalité des médias ». Des réunions ont aussi lieu entre les journalistes et les dirigeants d’i-Télé et de Canal+, sans qu’elles aboutissent à un accord.
22 octobre : les effets personnels de certains journalistes d’i-Télé sont retrouvés dans des bennes à ordure. Des déménageurs sont venus pendant le week-end pour permettre l’installation de la rédaction du quotidien Direct Matin (également propriété de Bolloré) dans le même immeuble qu’iTélé. La direction de Canal+ évoque une « erreur » de leur part.
24 octobre : Morandini Live suspendue pour des raisons « opérationnelles » selon un communiqué de Canal+. Mais l’émission « reprendra après la grève ». Le ministère de la Culture déclare qu’il cherche, avec le ministère du Travail, à « aider à la résolution du conflit, qui n’a que trop duré ». Le lendemain la grève est de nouveau reconduite et entre dans son neuvième jour consécutif.