En accordant partiellement une grâce présidentielle à Jacqueline Sauvage en janvier dernier, François Hollande disait vouloir rendre possible le retour de cette dame âgée et usée dans sa famille.
La justice n'a donc pas suivi le chemin indiqué par François Hollande et par les quelque 400 000 signataires de la pétition « libérez Jacqueline ». Le tribunal d'application des peines (TAP) de Melun (Seine-et-Marne) a rejeté la demande de libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage.
Cette femme de 68 ans, devenue un symbole des violences conjugales, avait été condamnée en appel en décembre à dix ans de prison par la cour d'assises du Loir-et-Cher pour le meurtre de son mari, qui la battait depuis des années et avait violé ses filles.
« Un positionnement exclusif de victime »
« L’importante médiatisation de l’affaire rend difficile une authentique démarche de réflexion pour Madame Sauvage », stipule le jugement. Selon la justice, cette dernière est « encouragée à se cantonner dans un positionnement exclusif de victime sans remettre en question son questionnement psychique personnel et sans s’interroger sur sa part de responsabilité dans le fonctionnement pathologique de son couple ».
Quelques heures après l’annonce du verdict, une vague de protestations a déferlé sur Internet. Internautes inconnus, politiques, et associations féministes s'indignent. Ainsi, l'association féministe Les efFRONTé-e-s se dit scandalisée et accablée, « d'autant plus que la mobilisation des militantes féministes avait réussi à lancer un vrai débat de fond sur les violences faites aux femmes ».
Une personne, pas un symbole
« Je suis choquée, attristée, en colère », a réagi de son côté Valérie Boyer, députée (Les Républicains) des Bouches-du-Rhône et l'une des 400 000 signataires de la pétition « Libérez Jacqueline ! » qui avait demandé en 2015 la grâce totale de Jacqueline Sauvage. En mars dernier, l'élue avait également déposé une proposition de loi visant à mettre en place une « irresponsabilité pénale » pour certaines femmes victimes de violences conjugales s'en prenant à leur conjoint.
« Je pense à Jacqueline Sauvage : avant d'être un symbole, il s'agit d'une personne, poursuit Valérie Boyer. Je suis choquée qu'aujourd'hui, on fasse perdre autant de temps à la justice pour maintenir en prison une dame de 68 ans qui a été victime pendant cinquante ans de sa vie des coups de son conjoint violent. On dénie à Jacqueline Sauvage le droit d'être une victime. Quand vous voyez votre fils qui n'en peut tellement plus des violences de son père qu'il finit par se suicider, quelle victime peut-il y avoir de plus ? » Pascal, le fils de Norbert Sauvage, s'était en effet pendu la veille du meurtre de son père.
Incompréhension de la justice
Même réaction indignée chez l'association féministe Osez le féminisme ! « Jacqueline Sauvage est une femme qui ne représente aucune dangerosité pour la société, martèle sa porte-parole, Marie Allibert. Cette femme s'est défendue après des décennies d'abus de la part de son mari violent. On ne voit pas ce qui pourrait justifier le refus de sa libération aujourd'hui. C'est extrêmement décevant et incompréhensible ».
L'association, qui voit dans cette affaire un signe supplémentaire de l'incompréhension du système judiciaire français sur les violences faites aux femmes, espère que l'appel aboutira. La grâce partielle de François Hollande est pour elle un signe encourageant. « On peut espérer que le tribunal d'application des peines revienne à la raison et que Jacqueline Sauavge soit enfin libérée », conclut Marie Allibert.
Pas de légitime défense
« Les avocates ont fait le choix d'une défense de médiatisation, de faire appel à l'opinion publique, analyse Virginie Duval, président de l'Union syndicale des magistrats. Jacqueline Sauvage a donc été considérée comme victime, ce qu'elle n'est pas aux yeux des jurés et de la justice et du coup, elle n'a pas pu se remettre en cause ». Une décision d'un TAP est rendue par trois magistrats et se fonde sur l'avis d'une commission pluridisciplinaire composée d'un avocat, d'experts et de membres d'associations de victimes.
Une évaluation sur plusieurs mois a été effectuée sur Jacqueline Sauvage, rappelle Virginie Duval, et cette commission a émis un avis défavorable à la libération, transmis au tribunal. « Ce qui est présenté comme une surprise par les avocates de Jacqueline Sauvage n'en est pas vraiment une si l'on considère que la légitime défense n'a pas été retenue, poursuit la magistrate. De fait, quand on tire dans le dos de quelqu'un, la légitime défense n'existe pas ».