17 octobre 2014. Raphaël Amar, jeune français converti à l’islam en 2010, puis parti en juillet 2014 en Syrie rejoindre le groupe Etat islamique, est tué lors d’un bombardement de l’armée de Bachar el-Assad à Deir ez-Zor, dans l’est du pays.
13 novembre 2015. Hugo Sarrade, étudiant en master informatique, est assassiné par les jihadistes de la même organisation lors du concert des Eagles of Death Metal, au Bataclan, à Paris. Originaire de Montpellier, le jeune homme était venu rendre visite à son père pour le weekend.
A priori, rien ne prédestinait leurs pères respectifs, Laurent et Stéphane, à se rencontrer puis à devenir amis.
Echanges et prévention
Laurent Amar et Stéphane Sarrade font connaissance en avril dernier, à l’initiative du principal du lycée Louis Feuillade de Lunel, près de Montpellier. Il les invite à venir parler devant les lycéens de l’établissement, celui-là même où Raphaël avait fait sa scolarité. « Rencontrer Laurent a été extrêmement simple, assure Stéphane Sarrade. Nous avons un point commun, nous sommes deux papas qui avons perdu leurs fils, dans des circonstances certes bien éloignées, mais au final pour moi, Raphaël et Hugo sont deux victimes ».
Cette douleur « incommensurable », perdre un enfant, les a rassemblés. Laurent Amar abonde : « il est très difficile d’accepter cette mort, et quelque part, cet échange que j’ai eu avec Stéphane, et sûrement lui avec moi, nous permet par un effet de miroir de nous identifier l’un à la douleur de l’autre, et c’est ce qui nous a énormément rapprochés ».
Devant les 400 lycéens venus assister à cette conférence au mois d’avril dernier, les deux pères, parlent de leurs enfants. Les similitudes entre les deux jeunes hommes sont troublantes : originaires de la même région, tous deux étaient fans d’échecs, ils jouaient de la guitare, adoraient le rock, et avaient monté leur groupe. Les lycéens écoutent, posent des questions.
« Certains pleuraient », se souvient Stéphane Sarrade. Compréhensible lorsque l’on sait que Lunel, petite ville de 25 000 habitants, a vu en 2014 quinze de ses jeunes partir pour la Syrie.
La nécessité de se reconstruire en donnant du sens
Lorsqu’un adolescent demande aux deux pères « est-ce que vous avez une rancune envers la communauté musulmane ? », ils répondent que non, que cela ferait le jeu du groupe Etat islamique. « C’est ce qu’ils cherchent, à nous diviser », met en garde Stéphane Sarrade. Il refuse d’entrer dans une spirale de la haine, une « énergie négative », comme il l’écrivait en avril dernier dans les colonnes du journal Le Monde.
Le but est donc de faire de la prévention, mais pas seulement. « On est porté par la même volonté d’engagement, de savoir ce qu’il s’était passé, de mettre du sens à cela », souligne Stéphane Sarrade. Laurent Amar poursuit : « tous les deux, on essaie de trouver un apaisement à travers des réponses aux questions que l’on se pose: comment des jeunes Français peuvent arriver à faire des actes terroristes, et quelle est la structure et le cadre idéologique qui va permettre le passage à l’acte ? ».
Des rencontres de prévention l’an prochain
Pour faire la lumière sur le départ de son fils, Laurent Amar a porté plainte. Depuis deux ans, il se bat pour tenter de comprendre comment Raphaël, étudiant en école d’ingénieur, où « il réussissait brillamment », a pu en très peu de temps se laisser entraîner, influencer par des personnes néfastes.
Stéphane Sarrade a trouvé quelques réponses. « Sur la radicalisation, explique-t-il, j’ai compris que ce n’était pas uniquement des gens dans des quartiers défavorisés, dans des contextes socioéconomiques très compliqués, qui sont les seules victimes : ce n’était pas le cas de Raphaël ».
Stéphane Sarrade en déduit que « la radicalisation peut toucher tous les milieux ». D’où l’intérêt de renforcer la prévention et l’échange. L’an prochain, les deux parents devraient retourner au lycée de Lunel pour parler avec les jeunes et poursuivre leur sensibilisation.