Avec sa franchise romanesque mêlée de nihilisme et cynisme, il a divisé les familles, les générations et les critiques littéraires. Malgré cela, Michel Houellebecq a réussi à décrocher le prix Goncourt 2010 pour La Carte et le Territoire. Dans l’exposition Rester vivant, l’homme « né à La Réunion en 1958, d’une mère médecin et d’un père guide de montagne » parle de lui-même à la troisième personne, dépasse les clivages et le domaine de la littérature. Apparaît alors l’univers intérieur de l’écrivain contemporain français le plus discuté et lu dans le monde, mais le parcours met surtout en lumière la jouissance créatrice chez Houellebecq.
Une mise à jour encyclopédique du monde houellebecquien
Michel Houellebecq s’est couché à 6 h le matin pour finir l’accrochage de cette exposition à la portée de tous : aussi bien de ses lecteurs fidèles qu’à ses ennemis jurés. Tant pis si vous avez détesté le vomi omniprésent dans Les Particules élémentaires, si vous êtes tombé en dépression en lisant Extension du domaine de la lutte ou si vous vous êtes fâché contre le scénario d’un président musulman dans une France collabo dans Soumission. Dans les salles du Palais de Tokyo, le lacunaire des personnages romanesques laisse la place à une mise à jour encyclopédique du monde houellebecquien.
On se retrouve embarqué dans une traversée d’îles thématiques englobant tous les obsessions et univers de cet homme enfin visible (presque) au complet. L’acuité visuelle de ses photographies d’une France sans glamour n’a rien à envier à la France des sous-préfectures prise en image par un Raymond Depardon. Ses images sur les ravages d’un tourisme de masse font merveilleusement écho au glamour de la banalité défendu par un Martin Parr.
« Un romantisme crépusculaire »
Avec la facilité propre aux grands artistes, Houellebecq n’a pas rempli des salles d’une exposition, mais mis en scène le spectacle de son imaginaire. Un parcours de rencontres : ses poèmes s’entrecroisent avec la peinture d’un Robert Combas, s’emportent vers le ciel avec la voix rauque d’un Iggy Pop ou sortent délicatement de la bouche d’un Jean-Louis Aubert. Après quelques salles dédiées au pouvoir érotique des femmes, un fumoir permet aux visiteurs de vivre joyeusement leur dépendance. À la fin, Michel Houellebecq s’autorise même « un romantisme crépusculaire » d’une poésie inespérée avant de nous guider vers la lumière du jour.
Cinq questions à Jean de Loisy,
commissaire de l’exposition Michel Houllebecq
RFI : Michel Houellebecq semble investir toutes les formes artistiques. Est-ce un écrivain-imposteur ou un artiste total ?
Jean de Loisy : C’est un artiste total avec une vision globale extraordinaire. Et tout cela est lié à une chose : un amour très profond et sérieux de la poésie. Lorsqu’on voit ses photographies, elles sont incroyablement reliées à la poésie comme structurant l’ensemble de sa démarche.
Le parcours commence avec une photo aérienne en mode « champ de bataille », une phrase assassine (« Vous n’avez aucune chance ») et une proposition défaitiste (« Continuer ? »). L’exposition, est-ce une sorte de jeu vidéo où Michel Houellebecq nous propose des scénarios de survie ?
Au début de l’exposition, Houellebecq propose une vision du monde qui n’est pas très optimiste. Il montre des jardins où il n’y a pas de place pour l’homme, ensuite des aménagements administratifs qui enlaidissent le monde. Donc ce n’est pas facile de continuer, parce que le monde qu’il nous présente est un monde en souffrance. Mais cette souffrance est très rapidement montrée avec énormément d’humour. Par exemple avec cette photographie où l’on voit une vierge entourée de cierges. Autour, il a photographié – et il a incrusté l’une sur l’autre – une affiche qui était dans cette même chapelle énumérant « Pôle Annonce de la foi », « Pôle Prière », « Pôle Charité ». Il manque que « Pôle emploi ». Tout d’un coup, le marketing ce qu’il a le plus horrible vient de se glisser dans les moments d'exaltations poétiques. Ou quand il montre la mer, symbole de la liberté, il y a devant des panneaux sens interdits, des chiens méchants, tout ce que l’homme fait pour se priver du bonheur que le monde lui offre.
Comment faut-il interpréter le titre Rester vivant ? Michel Houellebecq déclare d’être plus intéressé à son immortalité physique que spirituelle en tant qu’écrivain. Ce qui est plutôt étonnant pour un homme longtemps obsédé par le prix Goncourt et qui se met lui-même en scène dans une exposition.
Je pense que Michel n’a pas le moindre doute sur le fait qu’il est un très grand écrivain. Moi non plus d’ailleurs. C’est la partie confiante de sa vie. La raison pour laquelle l’exposition s’appelle Rester vivant est qu’il a encore un livre à écrire et encore quelques poèmes à faire. Pour lui, la beauté est le seul antidote de la souffrance. Pour cela il fait cette exposition. Il montre que le monde a besoin de poésie, d’amour absolu et du désir.
Qu’est-ce qu’une exposition lui offre qu’il ne puisse pas exprimer en littérature ?
Le livre nous permet de vivre d’autres vies. Une exposition rentre dans notre vie même. Le livre est la possibilité d’avoir une vie de « plus ». L’exposition est à l’intérieur de notre vie. Ce qu’il nous propose ici n’est pas de nous tirer vers un autre monde que le nôtre, mais d’améliorer un peu le monde dans lequel nous nous trouvons en y glissant de la beauté, des sons, des lumières qui ont un charme très particulier.
Une exposition de Michel Houellebecq sur Michel Houellebecq, est-ce une exposition où manque ce qu’il ne veut pas dire, son enfance difficile et son rapport avec les médias ?
Ce n’est pas une exposition biographique, même s’il y a des moments plus biographiques comme dans la pièce où se trouvent certains de ses livres d’enfance. Il parle aussi d’un exercice auquel il se livrait pendant son adolescence : rester immobile et ne pas bouger sa tête pour laisser passer les événements à l’intérieur de son champ visuel. Et là, comme dans un demi-sommeil, apparaissaient des images littéraires ou photographiques qu’il allait ensuite capturer.
► Regarder aussi le diapo sonore sur l'expo «Rester vivant»
► Michel Houellebecq : Rester vivant, exposition au Palais de Tokyo, Paris, du 23 juin au 11 septembre