Alain Guiraudie: «Rester vertical, un film choc? C’est l’hystérie cannoise»

Il a filmé des scènes de vie jamais montrées ainsi au cinéma : de la naissance d’un bébé en direct jusqu’à l’amour homosexuel pour adoucir l’agonie. En lice pour la Palme d’or au Festival de Cannes, «  Rester vertical  » du réalisateur français Alain Guiraudie raconte l’histoire d’un scénariste à la recherche du loup dans la magnifique région des Grands Causses dans le Massif central en France. Léo va vivre un drame amoureux moderne truffé de multiples questions pour notre société actuelle. Entretien.

RFI : Les premières réactions à votre film sont partagées : « on frôle un peu n’importe quoi », on parle de « film cru » et « film choc », on évoque « Pasolini » et « l’euthanasie assistée ».

Alain Guiraudie : Je ne suis pas très étonné de ces réactions. Après il faut resituer les choses. « Film choc » ? On parle de deux séquences : l’accouchement en direct et le suicide assisté. Ce ne sont pas non plus des vignettes provocatrices enfilées dans le film. J’ai essayé de faire un film existentiel et de ne pas tourner le dos à des choses essentielles de la vie. J’ai filmé des choses qui m’ont fait peur à filmer, qui m’angoissent aussi. Je n’avais pas du tout envie de les éclipser et cela donne lieu à de très belles séquences. « Film choc » ? C’est plutôt l’hystérie cannoise.

Dans votre film, « rester vertical » signifie rester debout, affronter et surmonter ses peurs. Comment est venue l’idée du titre ?

Rester vertical est très importante. Pour le loup, l’homme est l’animal vertical. C’est à ce titre qu’il nous respecte. C’est quand on tombe que les ennuis commencent. J’aimais bien cette idée de « vertical ». C’est plus le côté presque technique que la signification « rester debout ».

Paradoxalement, les personnages dans votre film avancent souvent horizontalement : quand la bergère Marie fait l’amour avec Léo, cela changera sa vie. Quand le père de Marie fait des avances à Léo, cela changera son attitude. Sans parler de l’accouchement et du « baiser de la mort » donné par Léo au vieillard rock’n’roll Marcel…

Pour vous, ce sont les scènes d’amour qui changent les personnages ? Eh ben, je n’ai pas fait gaffe à ça [rires]… Effectivement, ce sont des scènes couchées, des moments très horizontaux. Mais ce n’était pas délibéré de ma part d’associer le sexe aux changements.

Au début, Léo est à la recherche du loup pour le défendre. Mais avec lui, vous faites entrer le loup dans la bergerie.

C’est vrai [rires].

Faut-il se méfier des bonnes intentions ?

Non, pas nécessairement. Si vous pensez au loup dans la bergerie dans le sens Théorème de Pasolini [le film raconte l’histoire d’une personne mystérieuse qui change la vie de chaque membre d’une famille bourgeoise italienne et fit scandale en 1968, ndlr], on me parle beaucoup de ce film, alors que moi, Théorème n’est absolument pas une référence pour moi. Je ne trouve pas que ce soit un grand film de Pasolini et je n’ai jamais trop compris à quoi servait ce film. Je n’avais pas trop compris de quoi raconte ce théorème.

Dans mon film, il y a effectivement quelque chose de « trouble ». Cela me plaisait de raconter de nouvelles façons de vivre la famille, de vivre ensemble. En plus, on est dans un film où les gens sont très seuls : la monoparentalité, l’homoparentalité, les familles sont complètement déstructurées. Celui qu’on croyait un bon hétérosexuel se met à vouloir coucher avec le rôle principal. Mais cela ne fait pas de lui un homosexuel pour la vie. Ce sont des choses qui peuvent arriver. J’avais juste envie de faire un drame amoureux moderne.

Est-ce un fil conducteur pour vous de concevoir les choses à l’envers ? Le magnifique paysage vierge des causses de Lozère se réduit souvent à une route serpentée ; lors de l’accouchement filmé en direct et en mode frontal, il n’y aura pas le premier cri du bébé et c’est la mère qui quittera le père et l’enfant qui vient de naître…

Non, je ne pense pas les choses pour vouloir faire tout à l’envers.  Pour la scène de l’accouchement, j’ai mis la caméra à l’endroit qui me paraissait le plus pertinent. Là où je pouvais montrer les choses, sans l’éclipser. Cela a un sens. Par contre, sur le fait que Léo se fasse quitter par la mère de son bébé et se retrouve tout seul avec un bébé, cela a été vraiment une volonté. J’avais envie de renverser les choses avec tous les débats qu’on a sur la théorie du genre, qu’un bébé doit être avec sa mère. Je dirais qu’un bébé peut aussi être avec son père. Si le père assure, le bébé ne sera pas plus malheureux.  C’était important pour moi de renverser la vapeur sur certaines choses.

Votre film nous met souvent face aux pulsions et instincts. Une « chamane » écoute les corps de ses patients. Avec votre caméra, essayez-vous aussi d’écouter les corps ?

Oui, même plus que les corps. Je pense que c’est mon premier film un peu organique. Organique dans le sens d’un Cronenberg, où l’on va chercher la chair, la matière corporelle. Mais plus que les corps, j’essaie d’écouter le monde. Cela passe par le vent, le bruit des pas quand on marche, le bruit de l’eau sous une barque…

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