C’est un « Trésor national » a décrété, dès le 25 mars, le ministère de la Culture sur recommandation du Musée du Louvre. Alors qu’à ce moment-là, personne encore n’est sûr de l’authenticité du tableau qui représente Judith et Holopherne, la France s’assure par cette décision de conserver le tableau sur son territoire pendant trente mois.
Le chef d’œuvre dans la soupente
La découverte exceptionnelle qui agite aujourd’hui le monde de l’art et des experts remonte à avril 2014. Ce jour-là, voulant en avoir le cœur net de l’origine des taches récemment apparues au plafond de leur salon, un couple de Toulousains décide de monter au grenier de leur belle demeure du XVIIe siècle. C’est en se faufilant dans une soupente qu’ils découvrent le tableau d’un grand format, recouvert d’une épaisse couche de poussière, mais apparemment intact.
Le commissaire-priseur appelé en consultation pour évaluer le tableau s’en remet à un expert reconnu, Eric Turquin. Après des examens minutieux et répétés, c’est lui qui vient de se prononcer ce mardi 12 avril en certifiant que le tableau découvert à Toulouse est une œuvre « authentique » du peintre italien Le Caravage (1571-1610).
« Cet éclairage particulier, cette énergie typique du Caravage, sans corrections, d’une main sûre, et les matières picturales, font que ce tableau est authentique » a détaillé, devant la presse à qui était présenté le fameux tableau, Eric Turquin. Cette déclaration ne vaut pas pour autant parole d’évangile et Eric Turquin s’y attend d’ailleurs prévoyant qu’il y aura « plus de controverses que d’expertises ».
L’expert français a reçu dans la foulée un appui de poids en la personne de Nicola Spinosa, l’ancien directeur du musée de Naples et éminent spécialiste du Caravage. « Il faut reconnaître dans la toile en question un véritable original du maître lombard, presque certainement identifiable, même si n’avons aucune preuve tangible et irréfutable », a écrit Nicola Spinosa dans son compte-rendu d’expertise.
Bataille d’experts en vue
La certitude de ces deux experts est encore renforcée par des lettres écrites entre 1600 et 1610, dans lesquelles est mentionnée l’existence d’un deuxième tableau représentant Judith et Holopherne. Si la première œuvre traitant de ce sujet biblique est conservée au Palais Berberini à Rome, la seconde était considérée comme perdue depuis des siècles et c’est justement celle-ci qui aurait pu être retrouvée à Toulouse.
D’autres experts devront encore se prononcer et déjà des voix discordantes se font entendre comme celle de Mina Gregori dansLe Quotidien de l’Art, « une spécialiste du Caravage pour qui le tableau retrouvé à Toulouse n’est pas un original du Caravage, même si elle reconnaît que l’œuvre est d’une indéniable qualité ».
Quant à la valeur de la toile, de 100 à 120 millions d’euros, selon le marché international, cela suppose que toutes les assurances soient données pour certifier qu’elle est bien de la main du Caravage. Des spécialistes attribuent plutôt le tableau à Louis Finson, un peintre flamand (1580-1617), disciple du mouvement initié par Le Caravage.
Alors que jusqu’au XIXe siècle plus de 300 peintures sont répertoriées comme étant des œuvres du Caravage, en 2014 ce sont à peine 80 toiles qui lui sont attribuées et encore ce nombre descend-il à une soixantaine si on se limite aux seuls tableaux unanimement reconnus par la communauté des spécialistes du peintre. C’est dire si la survenue du Judith et Holopherne de Toulouse passionne ce petit cercle dont on attend l’approbation ou le rejet avec autant de fébrilité.
Ni signées, ni datées, mais souvent copiées
La vie mouvementée du Caravage, peintre célèbre, fêté par les puissants, puis poursuivi en 1606 pour meurtre et s’enfuyant à travers l’Europe jusqu’à sa mort prématurée, explique en partie les difficultés à cerner son œuvre. Sans compter qu’à l’époque les artistes ne signaient ni ne dataient leurs toiles, à quelques rares exceptions près, et que les copies étaient pléthore.
Les tableaux du Caravage ont donc été de longue date sujets à des batailles d’experts sans compter les disparus « réapparus ». Ainsi en est-il du célébrissime « Bacchus » aujourd’hui accroché au musée des Offices à Florence. Le tableau ne figurait pas au catalogue du musée, car il était considéré comme une simple (!) copie.
Ce n’est qu’en 1916, une fois authentifié formellement, que le Bacchus a été exhumé des réserves pour rejoindre les cimaises. De la pénombre d’un grenier de province à la lumière du plus prestigieux musée, les re-découvreurs toulousains du Judith et Holopherne ont au moins gagné le droit de rêver, si ce n'est bien davantage.