Jamais élu, passé de conseiller élyséen à ministre, Emmanuel Macron suscite de la jalousie chez les barons socialistes. Mais surtout il choque. Par son CV d’ancien banquier d'affaires (il était chez Rotschild), par sa manière de s’exprimer aussi : le jeune homme pressé a tendance à dire sans filtre ce qui lui passe par la tête. En septembre dernier, sur Europe 1, il disait par exemple : « Sur les dossiers que j’ai, il y a la société Gad. Vous savez, cet abattoir. Il y a dans cette société une majorité de femmes ; une majorité est illettrée. Ces gens-là n’ont pas le permis de conduire. »
« Illettrés », « ces gens-là »... Ces mots, mais aussi leur ton, provoquent la colère dans les rangs de la gauche, et notamment la très grande fureur d’Olivier Dussopt, député PS de l’Ardèche, qui confirme en privé que ce jour-là, il a littéralement coincé Emmanuel Macron dans un couloir de l’Assemblée nationale et lui a dit : « Ma mère est ouvrière, n'a pas de diplôme, a été licenciée à deux reprises.Vous l'avez insultée, vous avez eu un comportement de connard. » Emmanuel Macron s’est excusé, mais son image était dès lors faite pour une partie de la gauche : celle d’un technocrate qui ne comprend pas grand-chose au terrain.
« L’exécutif n’est pas assez fort pour résister aux lobbies »
Maintenant, sur le fond, son projet de loi dans ses grandes lignes pose un problème à beaucoup de socialistes, et le ministre le sait, d'autant plus qu’il a déjà vu quelques députés en petits groupes. L’un d'eux lui a dit : « Ton projet c’est une centaine d’articles ; pour moi, une centaine de gifles. » Des gifles sociales-libérales pour rien, à croire le député frondeur Laurent Baumel, pour qui « c’est surtout une loi dérisoire et inutile ». « On la voit surtout comme un gage libéral à la Commission européenne, pour compenser le fait que le gouvernement - et il a eu raison - n’a pas voulu aller trop loin dans l’austérité budgétaire. »
Et puis, il y a un vrai chiffon rouge : l'extension du travail dominical. Là aussi, ils sont nombreux, les socialistes, à crier au reniement des promesses de la gauche. Pour le député Pascal Cherki, « le candidat François Hollande lui-même, dans un meeting en avril 2012, avait expliqué qu’il veillerait personnellement à ce qu’on défende le repos dominical. La vérité c’est que quelques lobbies de la grande distribution font pression sur l’exécutif, qui n’est pas assez fort pour leur résister. Nous-mêmes, quand nous étions dans l’opposition, nous pointions les difficultés de l’instauration du travail le dimanche, pour le petit commerce et pour la santé des salariés. »
« Ça va dans la bonne direction », juge Frédéric Lefebvre
La contestation sur ce projet de loi est telle que beaucoup de députés PS ont déjà prévenu : pour la première fois, ils pourraient être très nombreux à voter contre un projet de loi, d’autant plus nombreux que cette fois-ci, tous ceux qui sont rentrés dans le rang quand il a fallu voter le budget veulent se défouler. Résultat : on se demande déjà si le gouvernement ne devra pas employer la manière forte, à savoir recourir à l'article 49-3. La droite s’amuse déjà de ces divisions, à l'instar du député UMP Frédéric Lefebvre, avec ce commentaire tout en ironie sur le projet de loi Macron : « Ça va dans la bonne direction, le Medef le dit, les chefs d’entreprise avec lesquels je m’entretiens le disent aussi, j’appelle la majorité à voter ce qui est bon pour le pays. »
Devant la polémique, le gouvernement sert les rangs : le projet de loi sera présenté très officiellement, ce qui est réservé aux grandes lois du quinquennat, après le Conseil des ministres par le chef du gouvernement lui-même, mais aussi par les neuf ministres et secrétaires d’Etat concernés par le texte. Officiellement, c’est parce qu’il est transversal, mais certains veulent surtout y voir une volonté de Manuel Valls de border Emmanuel Macron. Après tout, la posture du grand réformateur, c’est le Premier ministre qui l’a toujours revendiquée.
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