Conférence des ambassadeurs: «La France n'est pas interventionniste»

Le président français François Hollande a présenté ce jeudi les grandes orientations de la politique étrangère française aux ambassadeurs. Ukraine, Syrie, Irak, Mali, Centrafrique, Proche-Orient : le président a fait le tour des conflits dans le monde. La France est prête à intervenir sur la scène internationale, a-t-il dit en substance, mais pas seule. Doit-elle s'investir davantage ? Le géographe, diplomate et essayiste français Michel Foucher livre son éclairage.

RFI : Quel bilan peut-on faire de cette réunion ?

Michel Foucher : J’ai trouvé François Hollande tonique et déterminé. Mais il y a, par rapport à l’année dernière, un an de crises sur lesquelles la France a pris des responsabilités. Je suis géographe, et je constate que plus des deux-tiers des crises graves qui secouent le monde actuellement se trouvent entre trois heures et six heures de vol de Paris. La conclusion du président est que la meilleure des sécurités - car cela a des incidences sur le territoire national - est de traiter ces crises. Le problème, c’est que l’on est toujours un peu seuls, dans le cadre européen, pour prendre et partager les responsabilités. Mais je pense que cela va progresser.

Pensez-vous que la France, aujourd’hui, doit s’investir davantage et plus directement dans les conflits mondiaux ?

Cela dépend des problématiques. Il y a d’abord des pays avec lesquels nous avons des traités de défense et de coopération - huit pays en Afrique -, avec lesquels nous avons une tradition de coopération et surtout un savoir-faire, une capacité d’observation, d’alerte et d’incitation. Il y a également des crises beaucoup plus complexes où il est plus difficile, comme l’a dit le président, non pas d’agir seul mais d’agir en premier. Je pense en particulier aux affaires qui secouent le nord de la Mésopotamie. Là, il faut une action beaucoup plus complexe. Nous sommes devant une situation contradictoire : l’Iran et la Russie sont les acteurs de ce qui se passe en Syrie et en Irak, mais aussi à Gaza, en Israël et au Liban. Il faut former plutôt une coalition qui comporte à la fois un volet militaire - armement ou intervention -, et un volet politico-diplomatique. Il y a des domaines où la France peut agir seule, ou en tout cas en premier, c’est le cas de la région sahélienne.

Qu’en est-il de la politique au Proche-Orient ? Lors du récent conflit, la France a mené une politique plutôt « abstentionniste ».

C’est un peu un mauvais procès, c’est récurrent. Il est clair que depuis la mort d’Yitzhak Rabin, nous n’avons pas, pas plus que les Etats-Unis, de prise directe sur ce que fait le Likoud. C’est dommage, parce qu’en réalité la société israélienne est majoritairement dans ce qu’on appelle « le camp de la paix ». Mais même les efforts extraordinaires du secrétaire d’Etat américain John Kerry n’ont pas abouti. Je crois que sur ce point, le président Hollande a eu une approche extrêmement équilibrée.

L’Egypte a un rôle à jouer. Il faut essayer, dans la mesure du possible, de déconnecter les différents théâtres. Car ce qui nous menace, ce serait la formation d’une véritable crise articulée, de Nouakchott à Peshawar en quelque sorte. Il faut essayer de casser ces logiques transnationales. Il est clair qu’Israël a sa propre politique, ses propres intérêts. On le voit notamment en Iran, alors que les Etats-Unis ont déjà décidé de réintégrer l’Iran dans le jeu régional. Il y a des décalages dans le temps, c’est ce qui est difficile à gérer. Mais les diplomates sont faits pour cela : gérer les contradictions et parler à des gens peu fréquentables.

Concernant la politique diplomatique en Afrique, on l’a vu, la France est assez interventionniste : les troupes sont au Mali et en Centrafrique. D’après vous, est-ce une bonne chose ?

Nous ne sommes pas interventionnistes ; nous agissons à la demande des gouvernements concernés, et de surcroît avec un mandat des Nations unies. Ce n’est pas une démarche unilatérale interventionniste ; les forces armées françaises se passeraient volontiers d’agir dans tous ces théâtres. À long terme, ce qui est souhaitable serait de convaincre les Etats d’Afrique de l’Ouest, l’Union africaine et les organisations régionales de prendre en charge leur propre sécurité. Je me souviens d’un entretien récent avec le président Macky Sall à Dakar, à propos du forum de sécurité qui se tiendra mi-décembre à Dakar (une initiative française à l’origine, sénégalaise et française désormais). Il regrettait lui-même que les forces africaines ne soient pas en mesure de faire le travail que les forces françaises assurent. Il faudra bien, à terme, que les Africains se prennent en charge en termes de sécurité.

Les forces russes sont accusées d’envahir l’Ukraine. Que peut faire la France dans cet imbroglio ukraino-russe ?

La France peut d’abord informer sur ce qui se passe. Il y a un problème de renseignement : il faut vraiment savoir ce qui se passe et l’interpréter, éventuellement le rendre public, si cela est nécessaire. Il faut continuer les efforts de Paris et de Berlin. Mais je pense que nous sommes en train actuellement de prendre la mesure d’une situation qui est beaucoup plus grave que ce que l’on a dit jusqu'à maintenant.

Partager :