En Corse, pour pouvoir acheter un bien, il faudra y résider

Les Corses ont pris les grands moyens pour limiter l’inflation immobilière. Voté par l’Assemblée de Corse, ce vendredi 25 avril, le texte assortit l’achat d'un bien immobilier sur l’île à une condition de résidence permanente d’au moins cinq ans. Ce statut unique en France devrait freiner quelque peu la multiplication des résidences secondaires sur l’île de Beauté

L’immobilier et la Corse constituent un mélange détonnant depuis plusieurs décennies. Spéculation, bétonnage et blanchiment d’argent sale éloignent peu à peu les insulaires du marché immobilier devenu hors de prix pour le Corse moyen. Les faits sont là, quatre logements sur dix en Corse sont des résidences secondaires, vides la plupart du temps.

Une mesure votée sur le fil du rasoir

Il faudra donc désormais être résident permanent de l’île depuis au moins cinq ans pour espérer pouvoir y acquérir un logement. L’Assemblée régionale corse l’a décidé par 29 voix sur les 51 élus dont la majorité est à gauche. Dix-huit ont voté contre et quatre, dont trois de droite, ont voté contre. Ce sont les nationalistes, dont la totalité des 15 élus a voté pour, qui sont à l’origine de ce projet. Pour eux, il s’agissait avant tout de mettre un frein à un système de surenchère qui empêchait de plus en plus les Corses de se loger à prix raisonnable.

Ceux qui appuient cette décision se défendent avec force de toute idée de discrimination. Que vous soyez Tatar, Australien ou Ouzbèke, du moment que vous avez 5 ans de résidence en Corse, personne ne pourra s’opposer à ce que deveniez propriétaire, assurent quelques twittos sur les réseaux sociaux.

«La Corse n’est pas l’outre-mer»

Le président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Corse, Paul Giaccobi, député du Parti radical de gauche de Haute-Corse, porteur du projet qui à l’origine souhaitait une résidence de dix ans, soutient de son côté que l’adoption du statut de résident « casse toute velléité de spéculation. Il s’agit simplement, poursuit l’élu, de faire face à l’appropriation massive du foncier pour construire des résidences secondaires qui crée au quotidien des dommages économiques, sociaux et même politiques ».

Une intention fort louable, mais peut-être bien compliquée à faire appliquer comme croit le savoir Camille de Rocca Serra, député UMP de Corse-du-Sud et élu territorial, qui a voté contre le texte. Pour lui, la nouvelle mesure « est juridiquement impossible […] car contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui stipule dans son article 17 le caractère inviolable et inaliénable du droit de propriété ».

A ceux qui lui opposent le préexistant de l’outre-mer où est faite une distinction entre population insulaire et le reste de la population nationale, il rappelle que « la Corse n’est ni ultramarine, ni ultrapériphérique comme Saint-Martin et qu’elle fait pleinement partie de l’ensemble métropolitain et de l’Union européenne  ».

Un précédent corse

Des arguments qui ne devraient pas rester lettre morte. Déjà, en métropole on ne se prive pas d’épingler l’initiative corse qui a pourtant au moins deux précédents en Europe. Le Tyrol autrichien comme les îles Aland au Danemark mènent en effet des expériences similaires de sauvegarde. A cette exception près que les îles Aland bénéficient depuis 1921 d’un statut spécial en droit public international et le Tyrol de dispositions particulières dans la Constitution autrichienne…

Sans vouloir aller si loin, un village corse, Cuttoli à 15 km d’Ajaccio, a déjà voté dès le 1er février 2014 une mesure ayant le même objectif de permettre aux jeunes Corses d’accéder à la propriété et de lutter contre la spéculation immobilière. Mais très vite la décision du conseil municipal de Cuttoli avait été invalidée par le préfet de Corse-du-Sud dans la foulée de la ministre de la Décentralisation Marylise Lebranchu qui précisait, en décembre 2013, que le statut de résident était « anticonstitutionnel ». 

Le statut de résident voté par l’Assemblée corse n’a certainement pas fini d’occuper juristes et constitutionnalistes sachant que le dispositif juridique adopté ce vendredi sera soumis au vote à l’Assemblée nationale et au Sénat. Pour le moment le problème de l’accès au foncier en Corse reste entier. Mais, la mise en œuvre d’un projet d’établissement public foncier régional inclus dans la loi Alur et qui doit être opérationnel sous peu est conçue pour permettre aux habitants de l’île d’acheter des terres et de concevoir des projets.

 

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