RFI : Ce projet de loi de programmation militaire avait déjà été examiné par les sénateurs au mois d’octobre, sans faire de bruit. De quoi s’agit-il ?
Sébastien Huyghe : Il s’agit d’étendre la possibilité, pour les services de l’Etat, de pouvoir avoir accès à un certain nombre de données électroniques, que ce soit les données Internet, ou les numéros de téléphone utilisés par un certain nombre d’individus. Dans le cadre, au départ, de la lutte contre le terrorisme et les attentats à la sûreté de l’Etat.
Mais le problème qui se pose c’est qu’on étend la possibilité d’accès à ces données à d’autres choses. Par exemple, je pense à un amendement du président de la Commission des lois, qui permettrait au service de Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) de pouvoir avoir accès aussi à ces données. Et c’est donc ce qui nous inquiète.
Un pouvoir de surveillance élargi à plusieurs services. Quels services exactement ?
Il y a les services de Bercy, il y a les services du ministère de l’Intérieur. Certains disent que l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information auprès du Premier ministre pourrait avoir accès à ce genre d’information. Et c’est là que le bât blesse puisqu’à partir du moment où on veut lutter contre le terrorisme et les atteintes à la sûreté de l’Etat, ça ne pose pas du tout de problème. Mais à partir du moment où d’autres services peuvent avoir accès à ces données sans véritablement de contrôle, il y a un risque de dérapage.
Et ce que nous pouvons craindre, c’est un dérapage qui pourrait mener aux écoutes illégales comme du temps de Mitterrand, avec l’accès à un certain nombre de données électroniques qui n’ont rien à voir avec la sûreté de l’Etat et le terrorisme.
Selon vous, il n’y a pas de garantie pour le moment, pour le citoyen lambda, de ne pas être espionné ?
Il y a un vrai risque à partir du moment où il n’y a pas d’autorité de contrôle dans le cadre de l’accès à ces données. Le risque est celui du dérapage. J’observe que la Cour de cassation récemment a limité le pouvoir d’investigation, notamment des services de police, en demandant que pour la géolocalisation cela se fasse par exemple, sous l’autorité d’un juge d’instruction.
L’autorité d’un procureur ne suffit plus. Madame Taubira était même allée plus loin, puisqu’elle a fait une recommandation par écrit, pour étendre cette interdiction dans le cadre de l’enquête des parquets. Et puis parallèlement, on a ce texte qui arrive sur le bureau de l’Assemblée nationale, où là il n’y a même plus de contrôle de la part d’une autorité judiciaire quelle qu’elle soit. Donc, c’est inquiétant.
Les géants de l’Internet comme Google, Facebook, se sont réunis en collectif. Ils réclament un moratoire sur ce projet. C’est aussi votre demande ?
Moi, ce que je demande, c’est qu’on fixe un cadre beaucoup plus restreint de contrôle. Je pense que ce qui est important pour nos concitoyens, c’est qu’ils aient l’assurance que la sécurité de l’Etat soit bien assurée, mais que la sécurité de leurs données personnelles le soit également. Donc, ce que nous demandons, c’est qu’on puisse avoir un vrai contrôle et cela passe par l’autorité judiciaire.
Ce serait, selon vous, le meilleur équilibre ?
C’est le meilleur moyen d’éviter l’arbitraire. Il faut absolument éviter que les activités qui pourraient déplaire à l’Etat ou au gouvernement, je pense notamment aux activités politiques, ne puissent pas être surveillées, ce qui serait une atteinte fondamentale à la liberté de nos concitoyens.