Quand on les interroge 30 ans après, les anciens leaders de « la Marche pour l’égalité et contre le racisme » - très vite renommée « Marche des Beurs » - ont souvent la même réponse : « Ce mouvement nous a appris deux choses. Nous avions la capacité de nous mobiliser, de réaliser des choses. Mais nous avons également découvert que nous pouvions échouer ».
Et de fait, l’espoir, au lendemain du 3 décembre 1983, a été grand. La manifestation de la veille a été un énorme succès, pour la première fois la France réalisait que les enfants de ses immigrés étaient également les siens. Les leaders du mouvement avaient même été reçus par le président de la République, François Mitterrand. On lui demande une véritable politique contre le racisme, contre les violences policières. Une politique pour une égalité réelle et contre les discriminations.
Il faut dire qu’ils partaient de loin. Le début des années 1980 avait été marqué par la mort d’une dizaine de jeunes de banlieue – on ne disait pas encore de « cité » – pour la plupart abattus en toute impunité par des policiers. Jusqu’à ce que Toumi Djaidja se fasse tirer dessus à son tour. Il survivra, et c’est lui qui sera l’initiateur de cette marche.
Des espoirs déçus
Un an plus tard, ils seront cette fois près de 80 000 pour célébrer l’anniversaire de la marche. Anniversaire qui marque également la naissance de SOS Racisme, de La Main jaune, de Touche pas à mon pote. C’est également le début de la récupération politique.
Aujourd’hui, trente ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ? Pas grand-chose ou presque. Il n’y a bien sûr plus de ratonnades, le racisme a diminué. Mais pour l’égalité des chances, la lutte contre les discriminations, il faudra encore attendre, malgré les promesses.
L’espoir placé en la politique s’est depuis transformé en ressentiment. Les leaders du mouvement n’ont pas pardonné au Parti socialiste sa tentative de récupération de la marche. SOS Racisme, pour le moins très proche du PS, en a en effet longtemps revendiqué la paternité.
C’est pourtant la gauche qui est a priori plus proche idéologiquement des revendications de ce mouvement. On le voit bien, encore aujourd’hui, les banlieues ont tendance à voter plus majoritairement pour les candidats de ces partis. Mais ce sont également eux qui leur font le plus de promesses pour finalement décevoir ces espoirs. François Mitterrand avait ainsi promis le droit de vote aux étrangers lorsqu’il avait reçu en 1983 les leaders de la Marche des Beurs. François Hollande a repris cette promesse en 2012, lors de la campagne présidentielle.
Ils ne marcheront plus
En conséquence, les associations, les collectifs de défense des droits des enfants de l’immigration, comme AC le feu, le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), ou Graines de France, ont changé de méthode. Plus de politique, place maintenant à des outils tels que le lobbying. Ils se servent désormais davantage des médias, et surtout, ils mènent des campagnes pour pousser la jeunesse des quartiers à aller voter, et mieux, se présenter aux élections, pour porter eux-mêmes leurs revendications.
François Hollande semble d’ailleurs avoir compris le message. Alors qu’on aurait pu attendre une prise de parole à l’occasion de ces 30 ans, le chef de l’Etat semble vouloir reprendre en main le dossier de l’intégration. C’est du moins ce que laissent entendre ses proches depuis quelques semaines. Il faudra sans doute attendre la publication d’un rapport sur le sujet courant novembre pour y voir plus clair.