L’entrée en scène est magistrale : des jambes nues qui apparaissent, le rideau noir qui épouse la tête, les deux bras dégagés qui s’élèvent fièrement vers la lumière. L’applaudissement lointain signale la venue de la poésie qui s’approche à grands pas : Al Atlal, le poème culte du poète égyptien Ibrahim Naji, interprété avec une puissance inouïe par Oum Kalthoum, considérée comme la plus grande chanteuse du monde arabe et figure emblématique de la féminité. Et c’est peu dire que la chanson enregistrée en public en 1966 n’a rien perdu de sa beauté, son profondeur, sa sensualité. La voix est suave, claire, captivante, incomparable, elle nous emporte et nos émotions dans une mer de tragédie et poésie.
Les pas et les jambes
Hélas les pas du danseur ne suivent pas. L’emprise du chorégraphe sur l’espace créé par la musique tourne à vide. Sous leurs pieds, le paradis ne rajoute rien à cette merveilleuse chanson. Les pas s’avèrent plats, les jambes s’agitent, mais n’arrivent pas à puiser dans le sol, la mère de la force.
Pendant une heure, on assiste à une chorégraphie sur Al Atlal (Les Ruines), l’une des plus belles chansons de la poésie arabe qui évoque les ruines et les traces laissées par l’amante après son départ. « Un hommage aux héroïnes, aux sœurs, aux mères ». Avant le spectacle, le propos semble clair et pertinent. Sur scène tout devient flou et impuissant. Et la partie prise d’enlever à la fin la culotte n’en fait pas un spectacle culotté.
L'énergie féminine
Souvent, seuls les sous-bras, les mains et les doigts semblent réellement investis. C’est cette partie du corps, exploitée jusqu’aux ongles, qui nous offre les meilleurs moments du spectacle. Entre les coudes et les points de doigts apparaît l’énergie féminine, cette générosité qui permet des gestes extraordinaires, un vocabulaire riche, une expression originale et puissante. Le reste ne dépasse pas l’état d’un décor esthétisé selon des critères qui flottent dans les vagues de la chanson mythique : des mollets appuyés, un ventre affiché et des déhanchements qui basculent parfois un peu trop gratuitement. Tout cela est loin de l’art des arabesques, de la volupté raffinée et la volonté insubmersible qui caractérisent les femmes à qui est destiné cet hommage.
C’est une spectatrice qui a montré avec une efficacité terrible et en quelques secondes les limites du spectacle : penchée sur ses talons aiguilles, elle a quitté la salle en défilant devant la scène, imperturbable, avec une fierté certaine d’être une femme. Dans sa façon de marcher, de tenir tête, de suivre sa direction avec détermination et grâce, c’était ça le plus grand hommage à la féminité de ce soir.