Julien Gosselin transmet «Les Particules élémentaires» à une nouvelle génération

Lors de la première au Festival d’Avignon, le public a réservé ce 8 juillet un accueil triomphal à cette adaptation théâtrale et musicale du roman-choc de Michel Houellebecq. Les Particules élémentaires, publié en 1998, avait marqué son époque. L’œuvre est pour la première fois mise en scène en France. Julien Gosselin, 26 ans, a réussi une brillante adaptation et réactualisation de ce livre à réputation sulfureuse d’un auteur longtemps maudit dans son propre pays.

« Nous vivons aujourd’hui l’emprise d’un nouveau règne ». C’est une voix féminine larmoyante qui résonne dans le noir. Quand la lumière éclate enfin comme un flash, on découvre, au milieu d’un plateau vide, un homme. Avec la cigarette au bec, la mèche au front, son regard lucide et cynique, c’est le portrait craché de Michel Houellebecq. « Cette pièce est surtout l’histoire d’un homme… Il vécut en des temps malheureux et troublés » récite une voix neutre. A l’écran apparaissent en grandes lettres « LES PARTICULES ÉLÉMENTAIRES ».

Durant presque quatre heures défilent sur scène et à l’écran les trois parties du livre « Le royaume perdu », « Les Moments étranges », « Illimité émotionnel », rythmées par quelques chapitres inventés : « Palaiseau, Institut de biologie moléculaire », « Les hippies », « Annabelle », « Créativité et relaxation », « Christiane »... La ruse et le génie du metteur en scène : à part d’une scène très sarcastique dans un camp de nudistes ésotériques et soixante-huitards, les comédiens ne jouent pas les scènes du livre, mais interprètent la cruauté et la poésie du texte.

Des quadragénaires sous antidépresseurs

Sur le plateau qui ressemblera de plus en plus à une arène, les phrases sont incarnées et interprétées par les dix comédiens du collectif Si vous pouviez lécher mon cœur. Ils ont tous entre 25 et 30 ans. Leur jeune âge provoque un décalage salutaire par rapport aux protagonistes de l’histoire. Le recul et la mise à distance sont encore renforcés avec les images projetées en temps réels à l’écran, parfois en noir et blanc, parfois par webcam. Des sauts technologiques et dans le temps. La musique a aussi son mot à dire : ce sont la basse électrique et la batterie jouées live sur scène qui introduisent les deux personnages principaux : Michel, brillant chercheur en biologie rigoureusement déterministe et incapable d’aimer, son demi-frère Bruno, prof de français et obsédé sexuel, mais il y a aussi Annabelle et Christiane, les protagonistes féminins de ce suicide occidental auquel on va assister. Ce sont tous des quadragénaires sous antidépresseurs, voués à la disparation.

On revisite avec eux leur enfance et jeunesse, ponctuées par l’absence et l’indifférence des parents qui préfèrent le droit au plaisir à la garde des enfants et se réalisent à travers d’une sexualité « libérée ». Et puis il y a l’expérience dévastatrice des humiliations presque « naturellement » subies à l’internat. A chaque moment de leur vie, l’univers humain s’avère décevant.

La misère sexuelle

Une fois devenu adulte et muni d’un métier, les choses ne s’arrangent pas, bien au contraire : la misère sexuelle devient de plus en plus pressante. Le désespoir grandissant est composé de séances de masturbation, de sexe de groupe, d’expériences ésotériques, de rapports tarifés et d’une mère qui a gardé une belle silhouette et qui raffole des expériences pédophiles.

Dans le livre, les travaux génétiques de Michel Djerzinksi avaient permis de trouver la solution finale pour remédier aux maux de l’humanité : « il ne s’agissait pas de reconduire l’espèce humaine dans la moindre de ses caractéristiques, mais de produire une nouvelle espèce raisonnable ». Julien Gosselin en fait un manifeste : « Le but ultime de cette pièce de théâtre est de saluer cet espèce nouveau ! ».

« Ce spectacle est dédié à l’homme »

A la fin de la pièce, une des jeunes comédiennes porte un toast à l’honneur de la fin du livre : « Ce spectacle est dédié à l’homme ». Gosselin a remplacé le mot « livre » par « spectacle », sinon, les premières et dernières phrases de la pièce sont, à la virgule près, identiques aux passages du roman devenu culte. Entre les deux, la mise en scène de Julien Gosselin laisse défiler les différentes parties de l’œuvre. Et pourtant, le jeune metteur en scène ne se contente pas d'une simple illustration ou déclamation de son auteur fétiche.  Il va beaucoup plus loin.

Gosselin nous délivre quelques pièces de filet désossées de la pensée de Houellebecq pour mieux transcender les critiques faites au roman (« Tout le monde connaît Houellebecq, mais peut l’ont vraiment lu »). Résultat : les scènes de masturbation, dans le texte répétées jusqu’au dégout, se retrouvent très arrondies dans la version théâtrale. Le metteur en scène se concentre sur la portée philosophique et poétique de l’œuvre. Les passages provocateurs ne font plus le poids. Même si Gosselin se permet certainement une lecture très positive et séduisante des 400 pages du livre, les constats cyniques sur le jeunisme, la logique du capitalisme, la force de frappe inhumaine de la génétique et la technologie, la fin de l’ancien régime, restent d’une actualité brûlante. La mise en scène du texte est tout simplement grandiose dans sa simplicité, modernité et efficacité. Julien Gosselin a transmis Les particules élémentaires à une nouvelle génération.

 

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Les Particules élémentaires, de Michel Houellebecq, une mise en scène et adaptation de  Julien Gosselin, interprété par le collectif « Si vous pouviez lécher mon cœur », du 8 au 13 juillet au Festival d’Avignon.

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