« Et ils descendirent sur terre pour renforcer leurs rangs ». La phrase cryptée à l’allure religieuse figure au prologue du film et tient bien sa promesse. La première séquence montre un chien qui aboie, un homme sauvage sous terre -qui charge son pistolet- et un prêtre qui lève l’hostie avant de prendre le fusil et de se joindre à une chasse à l’homme. Borgen est un film mystérieux qui passe son temps à désigner la prochaine victime à offrir en sacrifice.
« Je peux prendre un bain ? »
Arrivé dans cette histoire comme Robinson Crusoé sur l'île, Camiel Borgen est un barbu sauvage qui sonne un jour à la porte de cette maison dans une banlieue chic : « Je peux prendre un bain ? Je suis sale ». Avec ses pouvoirs mystérieux et magiques, il s’impose comme un vrai diable à cette famille innocente et ses trois têtes blondes. Quoi qu'il arrive, on n’aura pas le droit de savoir pourquoi.
Les seules indications restent les prénoms des protagonistes donnant corps à la mythologie : avec Rebecca, le réalisateur introduit Hitchcock dans le récit, avec Ludwig et Richard, la filiation royale, enfin, Isolde qui donnera le baiser de la mort à son papa, fait entrer dans l'histoire l’imaginaire des légendes médiévales. Et la cicatrice qu’on leur infligera au dos, fait naturellement penser au héros Siegfried. Comme dans la mythologie nordique des Nibelungen (ce qui signifie « ceux du monde d’en bas ») ils ont quitté leur univers creusé sous terre pour installer leur règne ténébreux. « J’ai une mission », déclare Borgman à la maîtresse de la maison, avant d'ajouter : « Je joue au jardinier ». Quand elle lui demande de l’embrasser, il refuse : « Non, je ne peux pas ». « Richard (son mari) est mon supérieur ». « Je n’ai pas encore le droit de te toucher ».
Quand la frayeur se mêle à la poésie
Et il y a le destin des gens qui s'interpose sur le chemin de cette singulière mission. Quand les membres du clan Borgen font couler les cadavres dans un lac, la tête dans un pot de fleur cimenté, les corps renversés chancellent dans les flots comme des fleurs dans le pré. Et la frayeur se mêle avec la poésie.
Avec des images fortes, un scénario très bien ficelé et un imaginaire tout à fait exceptionnel, Alex van Warmerdam, 60 ans et également romancier, acteur et homme de théâtre, réussit à nous surprendre et nous envoûter. Comme les enfants, subjugués par l’histoire de la fille blanche que leur raconte Borgen, on reste pendant deux heures scotché à l’écran.