France: la «révolution copernicienne» de François Hollande

C’est le fait marquant du début du quinquennat de François Hollande : le pacte de compétitivité pour les entreprises lancé cet automne signe le tournant social-démocrate de la gauche de gouvernement.

« Une révolution copernicienne. »  Le ministre de l’Economie Pierre Moscovici n’a pas fait dans la nuance le jour où Jean-Marc Ayrault a présenté le pacte de compétitivité, le 6 novembre 2012. Vingt milliards d'euros de crédit d'impôts pour faire baisser le coût du travail et favoriser les exportations ; jamais la gauche au pouvoir n'avait à ce point soutenu les entreprises.

Ce n'est pourtant pas la clientèle électorale traditionnelle de la gauche. Ce n’est pas non plus sa politique traditionnelle. Il a fallu faire de la pédagogie. Quelques jours après la présentation du pacte de compétitivité, lors de sa conférence de presse du 12 novembre, François Hollande niait tout « virage » tout en parlant de « révolution » : « Aujourd’hui, nous avons à faire un effort – et ce n’est pas le socialiste qui parle, c’est le président de la République –, pour que notre offre soit plus compétitive, et je l’assume. Nous devons faire cette révolution. »

Entre « le socialisme de la demande » et « le socialisme de l’offre », François Hollande a définitivement choisi. C'est un peu la victoire de la deuxième gauche sur la première ; de la social-démocratie sur le socialisme étatiste. La revanche un peu posthume de Rocard sur Mitterrand.

Changement

Le « changement », il est donc là : dans cet adieu aux politiques de relance et au vieux modèle keynésien, avec une réduction drastique de la dépense publique - là encore c'est du jamais vu à gauche. Fin d’un dogme à gauche, celui de « la dépense pour la dépense ». Pas de reniement de campagne pour autant. François Hollande en avait parlé, mais s’il ne l’avait pas dit très fort avant son élection, et même s’il avait alors minimisé la question du coût du travail.

« Au cours de la primaire socialiste, rappelle le politologue Jean-Daniel Lévy, de Harris Interactive, François Hollande était sur une orientation plus ‘’libérale’’ que Martine Aubry. Et au cours de sa campagne, il n’avait pas laissé entrevoir qu’il y aurait ‘’le grand soir’’ ou une politique franchement marquée à gauche. »

Rien à voir donc avec le tournant de 1995, quand Jacques Chirac avait renoncé à « réduire la fracture sociale », moins de six mois après son élection. Il est vrai que des promesses, François Hollande, n'en a pas fait beaucoup. La chute de la popularité du président est d’ailleurs antérieure au pacte de compétitivité. « Les Français, dans une certaine mesure, et même le peuple de gauche, analyse Jean-Daniel Lévy, ont apprécié les prises de positions du gouvernement en faveur des entreprises, et n’ont pas perçu qu’il y avait eu un tournant, que l’on pourrait qualifier de ‘’social-libéral’’. »

« La politique la plus à gauche d'Europe »

« Social-libéral », le mot est lâché. C'est devenu l'expression favorite de Jean-Luc Mélenchon lorsqu'il attaque la politique de François Hollande, c'est-à-dire à chaque fois qu'il parle... François Hollande et Jean-Marc Ayrault rejettent ce vocabulaire et préfèrent le terme beaucoup moins polémique de « social-démocrate ». Le Premier ministre assure même que son gouvernement mène aujourd'hui « la politique la plus à gauche d'Europe ».

Et pourtant, à gauche, la grogne est perceptible. Certains dénoncent le poids et l'influence des technos, des énarques, qui entourent François Hollande, et en premier lieu, le jeune et brillant Emmanuel Macron, un ancien de la banque Rotschild, qui conseille le président sur toutes les questions économiques. Julien Dray, autrefois proche de Hollande, vient de dénoncer sur son blog « une politique qui emprunte plus au code des impôts qu'à la pensée de Keynes » ; allusion à l'augmentation de la TVA pour financer le pacte de compétitivité - un vrai reniement de campagne. Quand les ménages paient plus d'impôts que les entreprises, forcément le débat divise les socialistes. « Nous n’avons pas été élus pour mener une politique social-libérale, explique le député Christian Paul. Il faudra donc régulièrement faire le bilan du pacte de compétitivité. Le débat sur la politique économique n’est pas clos, ni au Parlement ni au gouvernement. »

Le feuilleton Florange, et la vraie fausse menace de nationalisation des hauts fourneaux, a aussi laissé un goût amer. Jean-Luc Mélenchon et les communistes sont devenus de vrais opposants, au Parlement, dans la rue, ou sur internet. Les vœux du PCF pour l’année 2013 diffusés sur Dailymotion font polémique. Ils ponctuent des extraits de discours de campagne de François Hollande de rires enregistrés. Le discours du Bourget de janvier 2012 (« Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance ») est particulièrement gâté. Mais les communistes n’ont pas fini de rire, ou de grogner. Après le pacte de compétitivité, François Hollande s'attaquera, début 2013, à la réforme du marché du travail. Une « révolution » peut en cacher une autre.

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