Dans un magazine, on pouvait lire : « Rien ne ressemble moins à une œuvre de Bertrand Lavier qu’une autre œuvre de Bertrand Lavier ». Etes-vous d’accord ?
Oui. On peut dire cela de beaucoup de gens d’ailleurs (rires). Et pourquoi pas pour moi ? Ca fait sans doute référence au fait que stylistiquement, visuellement, les choses sont très différentes parce que j’utilise des médiumstrès différents et le fil rouge se situe à un autre niveau que des ressemblances formelles. C’est de ça dont il est question dans l’article.
L’exposition s’appelle Bertrand Lavier, depuis 1969. Il n’y a pas le mot « rétrospective ». Pourquoi ?
Parce que j’avais envie de revisiter le genre comme je revisite finalement le genre des catégories bien établies, la peinture, la sculpture etc. Au Centre Pompidou, le sixième étage est souvent l’étage des rétrospectives. Je trouvais amusant pour moi de revisiter le genre et de faire presque l’inverse. On donne une date, comme si j’étais une sorte de marque ou de maison fondée en 1969, qui quelque part est vrai. Mais qu’on ait le sentiment que quand on se promène dans l’exposition, que toutes les œuvres soient de 2012.
D’ailleurs il n’y a pas d’ordre chronologique dans l’exposition ?
Non, on a des cartes que j’ai redistribuées, que j’ai rebattues différemment. Il y a de nouvelles cartes. Il y a des œuvres nouvelles et on est dans une sorte d’étape fraîcheur qui n’est pas celui de la rétrospective traditionnelle.
Avez-vous fait exprès de mettre à la fin de l’exposition une œuvre qui date précisément de 1969 ?
C’est un petit peu la clé du titre. Effectivement c’est une œuvre que j’ai faite quand j’étais encore étudiant à l’école d’horticulture de Versailles.
On a dit beaucoup depuis le début de votre carrière : en horticulture, Bertrand Lavier a appris une chose : la greffe. Et c’est finalement ce qu’il a appliqué de bout en bout dans ses œuvres.
Si on veut résumer de manière un peu simple les choses, ça correspondrait à ça, c’est-à-dire que la greffe c’est sûrement un des cours qui m’a le plus intéressé. Il s’agit de prendre une chose, de la « marier » avec une autre pour en faire naître une troisième. Je pense que l’addition des deux, ça donne une troisième chose plus riche que le produit des deux.
L’émotion surgit-elle d’une juxtaposition inattendue ?
C’est un procédé, j’allais dire une méthode qu’on connaît bien, que les surréalistes ont employée. Je ne l’ai pas inventée. Je me la suis appropriée pour en faire autre chose.
L’œuvre de Bertrand Lavier et que tout le monde connaît, c’est ce fameux frigo sur un coffre-fort. La question que tout le monde se pose, c’est pourquoi mettre un frigo sur un coffre-fort ?
C’est extrêmement provoquant évidemment quand on voit cette œuvre pour la première fois. Je dois dire qu’il n’y a aucun cynisme de ma part. Je pense qu’un artiste ne peut pas être cynique si non il exploserait en vol très vite. Quand j’ai fait cette œuvre au sens même matériel du thème, quand je l’ai faite, quand j’ai choisi ces deux objets précisément, j’ai été extrêmement interloqué par le résultat qui m’a même un peu presque consterné. Ce qui fait que ces gens ont ces réactions devant cette sculpture, sans humour… Cela dit, je vous comprends car moi je suis également passé par là. Pour répondre après plus précisément : pourquoi j’ai fait cette sculpture ? C’était tout simplement pour montrer que les objets peuvent représenter des choses et le devenir en même temps, c’est-à-dire qu’un socle, cela ressemble aussi à un coffre-fort et le coffre-fort ressemble aussi à un socle. Donc les objets jouent deux rôles à la fois.
Est-ce que vous vous sentez comme un successeur du ready-made de Marcel Duchamp ?
Je suis passé après le ready-made. Je fais dire des choses au ready-made. Duchamp était dans la capacité même de pouvoir faire dire des choses au ready-made puisque lui avait inventé le procédé. Je dirais de manière plus simple que Duchamp, c’est un peu comme Masaccio ou Brunelleschi [peintres de la Renaissance] qui ont inventé une nouvelle règle de la perspective. C’est-à-dire l’effraction du réel dans le musée. Après Duchamp, on ne peint plus de la même manière comme on ne peint plus de la même manière après Masaccio-Brunelleschi.
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Bertrand Lavier, depuis 1969, au Centre Pompidou à Paris, jusqu’au 7 janvier 2013.