C’est un texte inconnu qui révèle un homme méconnu. Jusqu’au Festival d’Avignon 2012, Dans le plus beau pays du monde n’a jamais été joué. Ecrit par Jean Vilar, alors âgé de 29 ans, le texte a été finalement interprété par sept acteurs de la Comédie Française dans les jardins de la Maison Jean Vilar à Avignon, sous la direction de Jacques Lasalle, Grand Prix national du théâtre.
« C’est une pièce très étonnante que Vilar a écrit en 1941, dans une France occupée, où il n’est probablement pas facile de parler très librement, explique Lasalle. Donc Vilar parle de l’amour dans Dans le plus beau pays du monde. Il y a probablement un peu d’ironie dans le titre. C’est la question d’un homme, à la fois sur : qu’est-ce que la passion ? Qu’est-ce qu’elle a de dévorant, de dangereux pour celui qui la connaît ? Qu’est-ce que la liberté amoureuse ? C’est une pièce qui interroge à la fois l’amour d’un point de vue libertin, comme point de vue de très grande liberté, et d’un point de vue très romantique, c'est-à-dire d’un amour éternel et absolu. Il essaie de concilier les deux. »
Un Vilar comique qui parle de l'amour
C’est Rodolphe Fouano, le directeur-adjoint de la Maison Jean Vilar, qui avait récemment édité, dans la revue L’Avant-Scène théâtre, ce texte de jeunesse. Une comédie en trois actes où l’on découvre un Vilar loin de la figure austère à laquelle on est habitué. Un Vilar plutôt comique qui parle de l’amour, inconciliable avec l’image aussi légendaire que sérieuse d’un Vilar fondateur du Festival d’Avignon en 1947, metteur en scène de Richard II de Shakespeare dans la Cour d’honneur du Palais des papes, défendeur d’un « théâtre, service public », ce texte fondateur rédigé par lui en 1953. Dans le plus beau pays du monde a été couché sur papier en 1941, la même année où le jeune Vilar avait rejoint la troupe des Comédiens de la Roulotte, fondée par André Clavé et liée au mouvement Jeune France.
Pour Fouano, également rédacteur en chef des Cahier Jean Vilar, « la publication et la lecture de ce texte permettent de découvrir ce Jean Vilar inconnu. En pleine guerre mondiale, il compose une pièce un peu à la manière du 19e siècle, qui fait penser par certains côtés à Marivaux. Ce texte va totalement bousculer l’image de Vilar, si les gens font l’effort d’accepter qu’il n’est pas seulement le père fondateur du théâtre service public. Et si on accepte de remettre en cause cette image d’homme – certains disent « janséniste », d’autres voient en lui une caricature de protestant. En fait, tout cela est très loin du compte, Vilar était comme un chat, il avait plusieurs vies. »
« Personne ne le sait »
Entre 1951 et 1963, Vilar était directeur du Théâtre national populaire (TNP) à Paris et montait des pièces comme Le Cide de Corneille, Le Prince de Hombourg de Kleist ou Mère Courage de Brecht. En même temps, le même homme gardait précieusement les manuscrits de ses comédies. Il les faisait relire. Il a été très attaché à cette partie de son activité tenue presque secrète, parce qu’il y a d’autres comédies à découvrir, affirme Rodolphe Fouano : « Ce n’est pas seulement une curiosité. Mais il faut aussi reconnaître que quelques-uns de ses amis ont eu l’occasion de lire les pièces et peu l’ont encouragé. Beaucoup pensaient que c’était mauvais. Mais il ne demeurait pas moins attaché à cette production littéraire. En secret, il y retravaillait pendant des années. Personne ne le sais, mais il aspirait à créer Dans le plus beau pays du monde au théâtre TNP. »
Ce rêve personnel, il a dû l’abandonner, mais au profit d’un « esprit Vilar » universel qui règne jusqu’à aujourd’hui sur les planches d’Avignon et du théâtre en général, remarque Murielle Mayette, l’administratrice de la Comédie Française : « A l’occasion de cette anniversaire, tout le monde, d’une certaine façon, essaie de se revendiquer de cette figure d’un théâtre utile et en même temps généreux et accessible. C’est ce qu’on appelle le "grand théâtre populaire". On peut dire que Jean Vilar a pu répondre à cette question : "A quoi ça sert ?" »
450 artistes venus de l'étranger
Et la « recette » de Vilar montre, d’année à l’année, son efficacité et son succès grandissant. Le Festival d’Avignon devient de plus en plus international. Cette année, le « Off » avait enregistré 143 troupes de théâtre (contre 70 en 2011) avec 450 artistes venus de l’étranger pour vivre ces rencontres si uniques entre les artistes et le public, qui sont devenus la marque de fabrique d’Avignon. Sur les scènes du « In », 18 des 39 spectacles ont franchi la frontière : il y avait des troupes de théâtre venues de l’Angleterre, de la Suisse, de l’Afrique du Sud, du Liban, de l’Allemagne, de l’Algérie, du Portugal, de l’Italie, de l’Hongrie, de la Colombie qui ont présenté leur spectacle souvent dans leur langue maternelle ! « Je pense qu’on est toujours porté par l’esprit que Vilar a insufflé au Festival d’Avignon et au théâtre au général, a confié l’actuel directeur Vincent Baudriller à RFI. Prendre Avignon à la fois comme un endroit de création ou comme un endroit où les artistes ont inventé un nouveau langage. »
Pour l’homme de théâtre Jacques Lasalle, l’avenir aussi appartient à Vilar. Son approche, qui consiste à faire rencontrer le grand public et les plus grandes œuvres du théâtre universel, reste incontestablement d’actualité. Lasalle, qui avait monté trois pièces dans le Palais des papes, a vu l’esprit du fondateur à l’œuvre quand le metteur en scène britannique Simon McBurney présentait cette année sa mise en scène spectaculaire du roman russe Le Maître et Marguerite
dans la Cour d’honneur : « L’esprit de Vilar y régnait beaucoup, affirme Lasalle. Il y a cette France occupée par l’armée allemande et cette Russie occupée par le stalinisme : deux pays meurtris, deux pays en souffrance. Il y avait une dame qui venait de me parler de Milan Kundera aussi, qui ne pouvait plus parler librement dans sa Tchécoslovaquie. Il ne pouvait plus parler de l’histoire qu’à travers des variations amoureuses. Et puis, même si je suis très réservé vis-à-vis du trop grand pouvoir de l’image, de la projection, j’étais quand même très impressionné par cette redécouverte de la Cour d’honneur et de cette formidable amplitude des images qui venaient l’habiter et qui venaient recréer ce lieu mythique. Cette mise à mort symbolique de la Cour à la fin de la pièce, cet écroulement des murs, c’est un écroulement symbolique, mais seulement symbolique. L’avenir du festival, l’avenir du théâtre et l’avenir de Jean Vilar dans ce théâtre continuent ! »
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- Le Monde de Jean Vilar, exposition jusqu’au 31 juillet à la Maison Jean Vilar à Avignon.
- Après les lectures dans le cadre du Festival d’Avignon, la pièce de Jean Vilar, Dans le plus beau pays du monde, sera reprise le 29 octobre à 20h30 au Théâtre éphémère de la Comédie Française, dans les jardins du Palais-Royal à Paris.
- La 66e édition du Festival d'Avignon, du 7 au 28 juillet.
- Le Festival « Off », le plus grand théâtre du monde, du 7 au 28 juillet 2012.