RFI : Refuse the Hour commence avec une batterie suspendue au-dessus de la scène. Des percussions activées à distance qui donnent le « la » et le rythme à l'histoire. Peut-on dire que la pièce est musique ?
Philip Miller : Cette pièce est une création bizarre. C’est de la musique, du texte, une lecture, du théâtre, du cinéma, des sculptures mouvantes. C’est de la résistance. Impossible de la classifier, mais la musique et les sons sont vitaux pour l’imagination de la pièce.
RFI : La Négation du temps, est-ce possible pour un musicien ?
P.M. : (rire) Non, on est toujours limité par les possibilités de la créativité et la tyrannie du temps. On est toujours entre les deux. Et il y a aussi la question de ce qui se passe avec une œuvre après sa création, qu’est-ce que le temps va en faire ?
RFI : Sur scène, on voit beaucoup d’instruments étonnants. Ces inventions, comme la guitare électrique montée sur un bidon d’huile, étaient-elles nécessaires pour créer la musique pour cette pièce ?
P.M. : Les instruments font référence à différents concepts qu’on retrouve dans l’œuvre. Vous avez par exemple une description historique du temps absolu de Newton. William Kentridge décrit aussi comment la ville de Paris a construit des tubes sous terre pour activer et synchroniser les horloges avec un système de soufflement d’air. Cela a influencé les partitions pour les instruments de cuivres dans la pièce. Vous trouvez par exemple un instrument nommé « Schalmei », une trompe qu’on avait utilisé dans le ferroviaire en Allemagne comme avertisseur sonore. Un autre instrument fonctionne avec un gonfleur. Nous travaillons aussi avec l’harmonium indien et son soufflet, similaire à celui de l’accordéon. Ces instruments ne se trouvent pas dans la pièce parce qu’ils sont intéressants, mais parce qu'ils sont intimement liés au concept de la pièce.
RFI : Dans le programme, vous soulignez qu’il y a « deux chanteuses blanches et une chanteuse noire sud-africaine ». Est-ce important d’évoquer les origines pour comprendre comment vous exprimez musicalement le temps colonial évoqué dans la pièce ?
P.M. : Je suis un compositeur d’Afrique du Sud. J’y vis et j’y travaille. Beaucoup de mes relations se sont formées à travers de la musique et des musiciens. J’ai la chance de vivre dans un pays avec des chanteurs extraordinaires. La composition de l’ensemble n’est pas une question de « politiquement correct », c’est le résultat de la gamme de mes possibilités.
RFI : William Kentridge dit clairement qu’il s’agit d’une pièce politique qui parle par exemple du temps colonial. Dans quelle mesure retrouve-t-on dans votre composition des temps et des rythmes sud-africains, africains et européens ?
P.M. : Je travaille avec des références très européennes. Par exemple la musique du Spectre de la Rose (un ballet sur une musique de Carl Maria von Weber, inspiré d’un poème de Théophile Gautier, ndlr), c’était l’idée de William Kentridge pour symboliser l’idée d’un romantisme du 19e siècle en Europe. Mais je travaille aussi beaucoup avec des voix et des rythmes africains. Et il y a la question autour du temps dans la musique africaine. Le concept du temps en Afrique est très différent. La question : « début - développement - fin » se pose autrement ; il y a d’autres rythmes, il y a les polyrythmies… Les questions autour de la composition sont très différentes en Afrique. Moi je pense le temps en tant qu’Africain, mais aussi en tant que compositeur qui écoute des styles de musique hors Afrique.
RFI : La musique, c’est la maîtrise du temps. Dans l’Afrique d’aujourd’hui, il y a toujours des traces d’une musique utilisée à des fins coloniales ?
P.M. : Non, je pense que la musique a beaucoup fait partie du combat contre le colonialisme et l’apartheid. Les chansons de protestation étaient vitales pour former et développer la résistance. Je pense qu'aujourd’hui, la musique n’est plus utilisée à des fins colonialistes, mais par tout le monde pour communiquer et entrer en contact avec les autres.
RFI : « Rendez-nous notre soleil ». C’est une des phrases clé de la pièce qui dénonce la confiscation du temps par les pouvoirs. Refuse the hour, est-ce une pièce pour rendre le soleil aux gens ?
P.M. : La pièce s'intéresse à la question de comment des gens imposent leur concept du temps aux autres. A l’époque de la colonisation, mais aussi dans notre monde contemporain. Aujourd’hui, il y a la technologie numérique, l’internet, les réseaux sociaux qui nous connectent en permanence avec l’espace et le temps. « Rendez-nous notre soleil », c’est aussi un appel à libérer nos âmes de ce rythme infernal imposé par les nouvelles technologies. Il faut se libérer du temps.
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- La 66e édition du Festival d'Avignon, du 7 au 28 juillet.
- Le Festival « Off », le plus grand théâtre du monde, du 7 au 28 juillet 2012.