Juliette Binoche lit dans la Cour d’honneur : « Je ne crois qu’au possible »

Dans le cadre du Festival d’Avignon, la comédienne Juliette Binoche lira ce lundi 9 juillet à 22h dans le Palais des papes le roman de John Berger De A à X. En compagnie de l’auteur et du metteur en scène britannique Simon McBurney elle s’installe sur la scène mythique de la Cour d’honneur pour faire vivre le texte de cet écrivain inclassable, né à Londres en 1926. Entretien.

RFI : Avez-vous pris le virus d’Avignon ?

Juliette Binoche : C’est un  endroit que j’aime. C’est le berceau de la création au théâtre et on est très privilégié en France d’avoir un lieu pareil où il y a autant de spectacles différents dans une ville qui se donne à cette multiplication d’essais à la transposition d’un monde intérieur vers l’extérieur. C’est quand même une grande joie d’être ici.

Rfi : Vous étiez l’an dernier à l’affiche du festival avec Mademoiselle Julie, vous aviez joué pratiquement pendant toute la durée du festival est ce que cela vous a redonné le goût du théâtre ?
 
J.B. : Je l’ai toujours eu, il n’est jamais parti le goût du théâtre

RFI : Mais vous n’avez pas joué pendant dix ans pratiquement
 
J.B. : J’ai joué pas forcément en France, donc en France on ne savait pas forcément que j’avais joué ailleurs mais, non quand on a la veine du théâtre, c’est toujours là. C’est incroyable d’ailleurs. Parce que cette rencontre avec le public et puis avec le présent, il y a un autre présent au théâtre qu’au cinéma, puisque ça se passe au moment où on est ensemble. Il n’y a rien qui puisse remplacer ça.

RFI : Cette année c’est la Cour d’honneur du Palais des papes !
 
J.B. : Ah oui mais je ne fais qu’une lecture donc ne me mettez pas la pression cette fois-ci.

RFI : C’est pourtant la Cour !
 
JB : Oui mais alors attendez ! C’est tout simplement trouver une intimité avec un texte et avec ces deux mille personnes et en direct aussi sur France Culture. Et faut pas le penser comme cela car sinon c’est terrifiant !

RFI : Sinon c’est impossible ? Est-ce que cela pourrait être impossible ?
 
J.B. : Non il n’y a jamais rien d’impossible ! Je ne crois qu’au possible. Il y a en tout cas l’envie de rentrer dans une sorte de proximité avec un public. Donc tout d’un coup si on met la Cour dans sa tête comme une espèce d’épée de Damoclès au dessus de la tête, c’est insoutenable. Mais par contre, si c’est une incroyable soirée, c’est un soir dans l’intimité quand même d’un texte parce que moi je vais être assise devant une table et Simon McBurney debout. En fait il y a une simplicité, il y a presque une austérité de présentation puisque que ce n’est pas une représentation d’un texte de théâtre, c’est une lecture donc c’est un peu différent. Mais la grande cerise sur le gâteau c’est que John Berger est là. L’auteur est là et cela est un privilège énorme. C’est à mon sens un des plus grands auteurs de nos jours et de tous les temps d’ailleurs parce que son écriture, elle n’a pas l’air comme cela mais plus on s’enfonce dans le livre, plus l’émotion monte et il y a un amour de la vie qui est rarement transmis comme cela dans le texte.

RFI : Vous lisez un de ses romans qui s’appelle De A à X. C’est un roman épistolaire où l’on entend où l’on lit surtout les lettres de Aïda qui écrit à son amoureux qui a été condamné à perpétuité, deux fois à perpétuité. Que sait-on d’elle ?
 
J.B. : Au fur et à mesure des lettres, on la découvre résistante parce qu’elle est quand même très engagée politiquement. On ne sait pas de quel pays elle est, c’est pour cela que John voulait que ce soit en suspens. C’est toute guerre, toute résistance, tout conflit : comment faire face. On imagine quand même que c’est au Moyen-Orient évidemment parce qu’il y a la chaleur, il y a la description des lieux. Aïda c’est une pharmacienne qui soigne, qui écrit, qui s’occupe des gens autour d’elle. Alors il y a des personnages différents, au fur et à mesure des lettres. Il y a une résistante, il y a la pharmacienne chef, il y a un ami, il y a plusieurs personnages qui sont amusants à jouer parce que ça donne une présence, comme des petits films à l’intérieur de chaque lettre.

RFI : Qu’est-ce que cela veut dire ?
 
J.B. : Dès qu’il y a un dialogue, il y a un aller-retour entre deux pensées, entre deux vies. Il y a surtout aussi de l’humour. Dans ce texte, il y a une profondeur qui arrive de plus en plus parce qu’on voit la résistance et la force qu’il faut avoir pour résister autant à attendre son homme, à ne pas pouvoir aller le voir parce qu’ils ne peuvent pas se marier. Elle n’arrive pas à avoir les papiers. Dans l’écriture il y a cet humour de la vie, dans les descriptions de ce qui se passe.

RFI : Il y a des choses très belles dans ce roman, par exemple quand Aïda fait la différence entre l’espoir et l’attente et elle dit que l’espoir vient de l’âme quand l’attente vient du corps.
 
JB : Oui il y a que dans l’expérience de la vie qu’on peut savoir cela. Quand on est vraiment dans une situation d’attente. Elle n’a pas le droit d’aller voir son homme Xavier en prison puisqu’il est à perpétuité dans une prison de la ville où elle est. Et l’expérience de l’attente, tout d’un coup, elle est obligée d’en faire l’épreuve et c’est insupportable. Parfois elle arrive à trouver le moyen de supporter cette attente.

RFI : Donc c’est un livre d’expérience.

J.B. : Oui c’est un livre d’expérience.

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De A à X de John Berger, ce lundi 9 juillet à 22h dans la Cour d'honneur du Palais des papes. Lu dans la traduction de sa fille Katya Berger par John Berger, Juliette Binoche, Simon McBurney. Durée 1h30. La lecture sera retransmise en direct sur France Culture.

- La 66e édition du Festival d'Avignon, du 7 au 28 juillet
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