Avignon, le festival, le théâtre et les «pigeons»

L’ouverture du Festival dans la Cour d’honneur du Palais des papes ce samedi 7 juillet se fera sans lui, mais le président de la République viendra le 15 juillet à Avignon, accompagné de sa ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. François Hollande y sera confronté à ses propres engagements pour le spectacle vivant …et aux revendications du monde de théâtre qui va mal, malgré la prolifération médiatique du nombre de spectacles. Entretien avec Jean-François Pujol, comédien et secrétaire général de la fédération du spectacle à la CGT.

RFI : La France a une nouvelle ministre de la Culture. On parle d’un « renouveau », d’une femme qui porte « l’espoir de la création ». Partagez-vous l’enthousiasme que la nomination d’Aurélie Filippetti a suscité dans le milieu culturel ?

Jean-François Pujol : Son prédécesseur, Frédéric Mitterrand, avait dégradé son image qui a été au début plutôt favorable, parce qu’il a été plongé dans les ors de la rue de Valois et il s’est ingénié surtout à ne régler aucun problème pendant cinq ans. Aurélie Filippetti a visiblement une dynamique. Elle a écrit que sa méthode de travail est la concertation, la consultation. François Hollande s’est engagé en tant que président à faire une loi d’orientation dans le spectacle vivant. C’est une très vieille revendication de notre fédération.

RFI : L’engagement en faveur d’une loi d’orientation pour le spectacle vivant figurait uniquement à la place 45 des 60 engagements pour la France, le programme du candidat Hollande. Qu’est-ce que vous attendez aujourd’hui concrètement du président ?
 
J.-F. P. : Une loi d’orientation est une loi très particulière qui n’est ni un projet de loi au sens habituel du terme, ni une proposition de loi. Une loi d’orientation est un peu comme la loi fondamentale. On en sort après des lois très concrètes et techniques sur tel ou tel secteur. Nous demandons depuis longtemps un plan de relance pour le spectacle vivant qui a été progressivement sinistré. Cela fait dix ans que le budget ne cesse de diminuer.

RFI : Il n’empêche que la France était l’un des rares pays en Europe qui n’a pas fait de coupures dans le budget culturel.
 
J.-F.P. : Hollande a écrit que le budget de la Culture sera sanctuarisé. On n’est pas enthousiaste, parce que sanctuariser un budget qui est devenu riquiqui, ce n’est pas non plus des lendemains qui chantent. Mais fin juin, on nous a annoncé que le budget de la Culture diminuera de dix pour cent ! Là, on se fout de la gueule du monde !

RFI : Frédéric Mitterrand avait proclamé « la culture pour chacun ». Aurélie Filippetti avait déclaré dans une interview : « Quand je pense à la politique culturelle, je pense aux enfants d’ouvriers ». Quelle sera la ligne de sa politique culturelle ?
 
J.-F.P. : Filippetti est la fille d’un mineur. Mitterrand vient d’une famille de bourgeois honorables.  Ce ne sont pas les mêmes milieux culturels. « La culture pour chacun » était un concept extrêmement dangereux. C’était en gros l’opéra pour les riches et pour les pauvres restent la télé, Koh-Lanta etc. Quand un enfant n’a jamais entendu parler d’art dans sa jeunesse, je ne vois pas comment un directeur d’opéra, d’art dramatique, etc, récupérera cet enfant. L’art est une forme de code qu’on doit donner aux enfants. C’est une des façons d’émanciper l’individu.
 

RFI : Le Festival d’Avignon démarre ce week-end. Dans quel état se trouve actuellement le théâtre, le spectacle vivant en France ?
 
J.-F.P. : Dans la mesure où l’argent se fait rare, cela a un impact sur l’emploi. Si on n’augmente pas les capacités financières des employeurs, il n’y aura pas d’emploi.

RFI : Il y a deux ans, l’un des deux directeurs du Festival d’Avignon confiait qu'il était obligé de devenir le producteur délégué de deux spectacles programmés dans la Cour d’honneur. Quelle est aujourd’hui la situation de production dans le théâtre ?
 
J.F.P. : La situation est toujours extrêmement tendue. Ils ont de moins en moins de budget, mais ils font le même nombre de spectacles. La variable d’ajustement, ce sont les salariés. Les salariés travaillent plus sans forcément se faire payer les heures supplémentaires. Les salariés sont moins bien payés pour que tout cela passe. Alors il faut se poser la question de faire autant de spectacles. Si on demande aux salariés de financer les spectacles par leur travail moins bien rémunéré, cela veut dire que les salariés sont pris pour des « pigeons » partout.

RFI : Dans le « Off » du Festival d’Avignon, on enregistre un nouveau record avec 1160 spectacles.
 
J.-F.P. : Les employeurs se félicitaient de la vitalité parce qu’il y a cent compagnies de plus. Il y a un turnover très régulier. Il y a des compagnies qui sont liquidées et il y a d’autres qui sont créées. C’est un très mauvais signe. Il y a longtemps, le metteur en scène Thomas Langhoff, interrogé par rapport à la « vitalité » de cette scène « off » qui est partout à Avignon, réagissait en déclarant : « Vous savez, les cellules cancéreuses prolifèrent aussi beaucoup ». La prolifération de spectacles est un signe de maladie. Comme on n’a plus d’emploi, on le crée. Si on faisait passer l’inspection du travail et les caisses sociales, ils ne resteront pas plus que 200 spectacles. Tout le reste, c’est du travail au noir. Je ne parle pas des one-man shows financés par des productions de spectacle. Tous les comiques débarquent à Avignon pour faire des one-man-shows. C’est moins cher et c’est une façade pour les diffuseurs. Pour les spectacles de théâtre - quand il y a quatre ou cinq comédiens sur scène - la plupart du temps le financement n’existe pas, aucune répétition n’est payée. Avignon voit bien l’état maladif du spectacle en France. Non seulement il y a des comédiens qui jouent sans signaler aux spectateurs s'ils sont professionnels ou pas, mais même les professionnels jouent en amateur en quelque sorte, parce qu’ils ne sont pas payés correctement. Je défie qu’on me donne le nombre de personnes qui appliquent la convention collective dès les répétitions et le montage du spectacle. Il n’y en a quasiment pas.

RFI :  Pour le « In » du Festival d’Avignon, le ministre de la Culture avait choisi l’année dernière un successeur d’une manière très arbitraire selon de nombreux observateurs. Pour vous, cette succession est un chapitre clos ?
 
J.-F.P. : Non, c’est une des choses inquiétantes. Les deux actuels directeurs du festival, Vincent Baudriller et Hortense Archambault avaient obtenu que le Festival d’Avignon installe son siège social toute l’année à Avignon. Avant il y avait une volée de corbeaux qui tombait sur la ville. La population était totalement extérieure à ce phénomène. Les directeurs ont essayé d’avoir toute l’année des contacts avec des avignonnais et des artistes qui allaient jouer au festival. Ils ont obtenu la construction d’un lieu de répétition et de résidence dans un quartier défavorisé que tous les services publics avaient abandonné. Là-dessus on nomme un successeur - mais sans acceptation d’un quelconque cahier de charge ! Olivier Py peut faire ce qu’il veut. Il peut par exemple tout rapatrier à Paris. Il n’y a aucune condition qui lui est donnée. Pour l’instant je n’ai vu aucune déclaration de la part d’Olivier Py qui dit qu’il continuera cette politique de lien avec la population et avec ce travail sur Avignon.

RFI : Est-ce qu’il y aura une surprise cette année lors de la première à la Cour d’honneur du Palais des papes ?
 
J.-F.P. : On a signalé qu’il y a ce gros risque qu’on dise à François Hollande que cela ne va pas du tout. Jusqu’à présent le compte n’y est pas !

 

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- La 66e édition du Festival d'Avignon, du 7 au 28 juillet.

- Le Festival « Off », le plus grand théâtre du monde, du 7 au 28 juillet 2012.

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