RFI : Vous dites que c’est un rattrapage, pourquoi ?
Jean-Luc Steinmetz : Un rattrapage parce que, de son vivant même, il n’a jamais été trop considéré par les grands écrivains qui étaient ses contemporains.
RFI : On disait littérature populaire et surtout littérature pour enfants ?
J.-L.S. : Pour enfants, pour adultes. On avait tendance à le confondre avec d’autres. Mais c’est vrai qu’il a été lié toute sa vie par un contrat qui l’a obligé à publier dans le Magasin d'Education et de Récréation, qui était un journal créé par Pierre-Jules Hetzel à l’usage de la jeunesse. Donc il s’est toujours conformé à cela, même si de plus en plus il a pris une certaine liberté vis-à-vis de cela. Mais il y a un très grand nombre d’enfants, d’adolescents, dans son œuvre.
RFI : Publier ou lire Jules Verne, c’est d’abord choisir car c’est un auteur qui est extraordinairement prolifique et dans tous les genres. Finalement la fiction est arrivée assez tardivement dans son histoire.
J.-L.S. : C’est ça, il a commencé par le théâtre, des tragédies d’abord, même en alexandrins. Puis après, des opéras comiques avec musique de son ami Aristide Hignard. Et cela a duré pendant une dizaine d’années. Mais à ce moment là, il se lance aussi parfois dans la nouvelle et il avait commencé aussi par un roman, Un prêtre, en 1835.
RFI : Pour lui, l’écriture est un virus, parce qu’il n’est pas du tout voué à cela. Il doit reproduire la carrière de son père, c’est-à-dire devenir un avoué ou un avocat ?
J.-L.S. : Très tôt, il se met à écrire. Il a vraiment cette passion. Cela lui est absolument nécessaire. Pas une journée sans une ligne. Mais évidemment, il met du temps à trouver sa voie qui est le roman d’aventures.
RFI : C’est en 1863 son premier grand roman ?
J.-L.S. : Oui, c’est cela. Et là il y a l’opportunité de Pierre-Jules Hetzel qui crée ce Magasin d'Education et de Récréation et Hetzel est tout à fait séduit. Hetzel, le grand éditeur qui était aussi l’éditeur de Victor Hugo et de bien d’autres, interviendra très souvent. Il lui apprendra à mieux écrire ou à mieux composer.
RFI : 1963, c’est donc Cinq semaines en ballon. Jules Verne a 35 ans. Ce n’est pas pourtant ce voyage-là que vous décidez de publier dans la Pléiade. Pour quelles raisons ?
J.-L.S. : Il fallait bien trouver parmi les 62 romans de Jules Verne quelque chose qui fasse cohérence. Les lecteurs de Jules Verne savent bien qu’il y a une espèce de trilogie qui s’impose et qui sont Les enfants du capitaine Grant, Vingt mille lieues sous les mers, et L’île mystérieuse où l’on retrouve un certain nombre de personnages, notamment le capitaine Nemo et le traître Ayrton, qui apparaît déjà dans Les enfants du capitaine Grant. Et puis j’ai ajouté à cela, et c’est ça qui fait d’ailleurs que vraiment le directeur de la Pléiade et Antoine Gallimard ont été séduits par ce projet, Le Sphinx des glaces qui est publié beaucoup plus tard dans les années 1896 et qui donne une suite aux aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe. J’ai souhaité que Jules Verne soit placé sous le signe d’Edgar Poe et d’ailleurs l’un des rares articles de critiques littéraires qu’il ait publié, c’est un article en hommage à Edgar Allan Poe. Et à très tôt.
RFI : Jules Verne décrit son premier roman, Cinq semaines en ballon, comme « une description romanesque de l’Afrique ». On est bien là, d’entrée de jeu, dans le projet de Jules Verne qui est de décrire la terre ?
J.-L.S. : C’est cela. Mais peut-être il n’a pas tout de suite cela à l’esprit. Mais il y a chez lui une passion géographique qui va s’exprimer par la suite. Et cela tient aussi aux gens qu’il fréquente à cette époque, c’est-à-dire des milieux de savants, des milieux de géographes. Il y a une passion géographique qui fait qu’il se donne ce projet qu’il mènera presque jusqu’au bout. Avec lui, on voit presque toutes les régions de la terre, les plus inconnues, les plus extrêmes, comme le Pôle Nord, Pôle Sud, la Patagonie, l’Amérique du Sud qu’il aime beaucoup. Il connaît moins la Chine et le Japon, on peut le regretter mais à son époque ce n’était pas facile d’aller au Japon ; l’Océanie également. Et cela ne l’a pas empêché d’aller un petit peu en dehors de notre monde puisqu’il y a le fameux De la terre à la lune et Autour de la lune et les aventures d’Hector Servadac qui nous promènent alors dans le monde interstellaire.
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Jules Verne : Voyages extraordinaires, 2752 pages. Édition sous la direction de Jean-Luc Steinmetz. Prix de lancement dans La Pléiade, jusqu’au 31 décembre 2012 : 95 euros.