La projection de Cosmopolis à Cannes tournait en une sorte d’humiliation en direct pour David Cronenberg. On ne parle pas de la scène de sexe pâle à l’arrière de la voiture. Une prestation presque gratuite d’une Juliette Binoche, assise sur le boss, qui est à mille lieux du lâcher prise de Nicole Kidman dans The Paperboy. On ne parle pas non plus des balles tirées qui traversent une tête et une main, mais pas notre esprit.
La confrontation qui tue se trouve tout au début. Le film s’ouvre sur exactement la même extra-longue limousine blanche qui sert comme bureau qu’on avait déjà vu deux jours auparavant chez Leos Carax dans Holy Motors. Et Cronenberg met à son héros la même question dans la bouche : « Mais où se garent toutes ces limousines pendant la nuit ? » Là aussi, Carax avait déjà donné une réponse cent fois plus créative et originale. Troisième coïncidence : on assiste chaque fois à 24 heures dans la vie d’un héros. Une vie qui se passe dans les deux films où les scènes se déroulent essentiellement dans la voiture. Différence notable : chez Carax, les changements proviennent de l’intérieur de la voiture, chez Cronenberg, ils sont provoqués par l’extérieur. Carax créé un univers, Cronenberg subit le monde qu’on vit. Cosmopolis s'avère ringard et dépassé, Holy Motors glorifié.
Son épouse éphémère, une écrivaine issue d’une famille ultra riche, donne la meilleure définition du personnage principal, Eric Michael Packer (Robert Pattinson), l’un des golden boys de Wall Street : « Ton travail est de changer l’information en quelque chose de terrible. »
« Un spectre hante le monde »
L’action du film est encadrée par deux séquences : au début, des manifestants crient le manifeste du Parti communiste : « Un spectre hante le monde ». La séquence finale montre un tableau abstrait de Mark Rothko : rouge, noir, bleu. Entre la peinture et la manif, il y a une énumération de personnages (le médecin, le garde du corps, l’amante, l’experte en théorie…) et de lieux communs sur le monde actuel : la catastrophe qui s’approche, la maladie qui transforme, le président qui sera assassiné, la finance qui gouverne et chute après, les rats qui conquièrent le monde, le trader qui vit dans sa bulle et « baise » à chaque coin de rue. Le sexe comme l’antidote d’une vie pourrie. Seule exception remarquable : quand l’entarteur André Petrescu (Mathieu Amalric, formidable) colle à Packer une tarte à la crème et un long discours politique inouï.
Le trader parle de sa maison avec deux ascenseurs (il écoute Erik Satie dans l’un, le rappeur soufi Brutha Fez dans l’autre) et de la chapelle avec 14 tableaux du peintre Mark Rothko qu’il veut absolument acheter, à n’importe quel prix. Hélas, le directeur du FMI est assassiné en direct à la télé pendant qu’il parlait du yen surévalué et de l’instabilité de la devise. La Bourse s’écroule, le trader a tout perdu, mais se sent bien comme jamais. Fini l’époque où un mystérieux « centre » et des yoctosecondes, ces quadrillionièmes de seconde, dominaient sa vie. Aujourd’hui, il n’a qu’une seule obsession dans la tête : traverser New York, paralysée par la visite du président des Etats-Unis, pour aller chez le coiffeur.
Le film multiplie les séquences et grouille de citations et dialogues très pertinents, empruntés du roman éponyme de l'Américain Don DeLillo : « On s’élève sur un mot et on chute sur une syllabe », « Fallait écouter ta prostate asymétrique », « La vie est trop contemporaine », mais l’enchaînement de bons mots sur une mise en scène froide et lisse ne produit ni d’effet ni de sens.