Amour, un film qui nous épargne toute chose superficielle et c’est presque naturel que Haneke ait pensé à Jean-Louis Trintignant qui a dit lui-même « faire semblant de vivre » depuis la mort de sa fille, Marie. Trintignant joue un mari attentionné qui fait encore des compliments à sa femme, laquelle le lui rend bien. Les deux octogénaires forment un couple idéal de professeurs de musique retraités, cultivés, passionnés par la littérature et par la vie en général.
Quand d’autres réalisateurs ont besoin de dix pages pour expliquer leur approche, Haneke se contente de trois phrases. L’histoire ressemble à un haïku cinématographique qui comporterait trois mots : amour, accident, épreuve. La première scène montre Anne sur un lit de mort avec des fleurs autour de sa tête. Dans l’avant-dernière scène, on aperçoit la même femme bien vivante avec son mari dans la cuisine. Avec des flash-back bien maîtrisés, Haneke sème encore le trouble entre rêve et réalité.
Le fauteuil roulant et les couches
Toute leur vie, le couple était d’accord : la vie vaut la peine d’être vécue. N’empêche que la fin n’est souvent pas très glorieuse. Un jour, lors du petit déjeuner, Anne ne réagit plus, ne bouge plus. Un accident vasculaire qui dure quelques secondes. Mais le médecin recommande une opération qui tourne mal : la moitié droite de son corps reste paralysée. Avec le fauteuil roulant et le lit médicalisé, une autre vie commence. Un deuxième accident se produit et entraine les couches, le gobelet à bec, les mots qui font faillite. L’humain se trouve réduit à l’état de légume. Emmanuelle Riva interprète avec brio et une présence qui force l’empathie cette Anne qui souffre, qui ne se reconnaît plus et qui ne peut rien faire d’autre que de pousser des gémissements avec une voix déchirante : « Mal ! Mal ! Mal ! ».
La vie sans issue
Amour, montre la vie sans issue (« rien de cela ne mérite d’être montré »), l’indécence de la dépendance totale. Du coup, même le meilleur mari du monde est dépassé, comme le reste de la famille d’ailleurs qui ne comprend pas et cherche une solution qui n’existe pas.
Le drame est déployé sur un ton très piano. Ce sont les « Impromptus » de Schubert, composés peu avant la mort du compositeur, qui nous font entrer dans le film. Durant le déroulement du drame, personne ne s’emporte ou crie. Quand Anne refuse de boire, pour montrer son envie de mourir et préserver le seul petit bout de dignité qui lui reste, il la force à ouvrir la bouche, et la gifle quand elle recrache l’eau ingérée.
Georges commence à être dépassé par la situation : entre sa fille (Isabelle Huppert) égocentrique, les aides-soignantes maltraitantes et sa femme qui fait pitié à tout le monde. Un matin, il apaise les douleurs de sa femme avec une histoire et l’étouffe après avec un coussin. Un geste que certains nomme meurtre ou euthanasie, Haneke lui donne le titre « Amour ».
Orfèvrerie psychologique
Jean-Louis Trintignant incarne la profondeur humaine et sentimentale du personnage qui fait face à la vie qui se délite. Emmanuelle Riva est belle à mourir, digne et désespérante. C’est de l’orfèvrerie psychologique, avec pour seuls effets spéciaux le jeu des yeux, les gestes des mains et les sauts des cœurs. Mais malgré l’exploit des comédiens, le film n’est guère enthousiasmant car trop dirigé. Du coup, le bouleversement suscité n’arrive pas à dépasser la situation si bien restituée. L’énigme de la vie disparaît. Il y a trop de perfection, pas assez d’amour.