«Reality», Matteo Garrone est une victime de la téléréalité

Après son film réussi sur la violence de la Camorra dans Gomorra (Grand Prix à Cannes en 2008), le réalisateur italien Matteo Garrone concourt à nouveau pour la Palme d’or. Cette fois, il s’attaque aux émissions de téléréalité qui sévissent un peu partout dans le monde. Reality nous projette au cœur du problème : l’insatiable désir de devenir riche et célèbre peut se déclencher à tout moment.

Reality nous accueille avec un magnifique travelling vu d’oiseau sur Naples. La ville semble encore endormie, quand tout d’un coup apparaît une calèche en or, tirée par de magnifiques chevaux blancs. La fabuleuse séquence en plongée dure quelques minutes, jusqu'à ce que les futurs mariés quittent la calèche sous les applaudissements et les confettis des invités. On n'est pas dans un conte de fée, mais à une fête de mariage. Enzo, la star de la plus célèbre émission de téléréalité en Italie, est l’invité un peu spécial de cette cérémonie. Avant de s’envoler à bord d’un hélicoptère pour le prochain rendez-vous, il déclare aux mariés : « N’abandonnez jamais vos rêves. »

« Je me sens enfin bien ! »
 

Après son chef d’œuvre sur le monde impitoyable de la Camorra, le réalisateur Matteo Garrone voulait changer de registre. Il nous avait promis une comédie avec, en personnage principal, une sorte de Pinocchio des temps modernes. C’est l’acteur Aniello Arena qui incarne Luciano, un frimeur et blagueur napolitain qui aime sa femme, ses trois enfants et son boulot. Dans la vie réelle, ce bonimenteur sicilien est poissonnier. Mais depuis que sa fille l’a poussé à se porter candidat pour Grande Fratello, la plus célèbre émission de téléréalité en Italie, il rêve de succéder à Enzo. Il réussit même à passer un casting à Rome, dans les célèbres studios de cinéma Cinécitta : « Je me sens enfin bien ! »

Luciano se croit déjà en haut de l’affiche, il rompt totalement avec la réalité qui l’entoure et finit par perdre les pédales : il vend sa poissonnerie, distribue ses meubles, abandonne sa famille, et ne vit que pour son rêve de devenir une célébrité de la télévision : « On sera riche ! Fini les problèmes ! »

L’œuvre et la téléréalité

Le scénario est particulièrement séduisant. Hélas, les images qui en découlent sont tièdes, la musique trop sucrée, les personnages manquent de relief et les petites histoires qui s’enchaînent souffrent d’une mièvrerie fatale. Tout cela nous mène à une comédie plate, et sans raison d’être. Au lieu de percer l’énigme de la réalité d’aujourd’hui, le réalisateur s’aligne au niveau des reality-shows. L’œuvre projetée sur grand écran n’est finalement pas si différente de la téléréalité incriminée qui sort du petit poste.
 

Ironie de l’histoire, comme dans un reality-show qui mérite son nom, l’acteur Aniello Arena fait le buzz au Festival de Cannes, sans être extraordinaire dans son rôle. Fidèle au principe de la téléréalité, ce qui compte c'est son potentiel d’alimenter les rumeurs et de faire sensation. Pourtant il n'est pas présent à Cannes. Et pour cause, cela fait dix-huit ans qu'Arena est en prison. C’est derrière les barreaux qu’il a appris le métier d’acteur avec des adaptations de Shakespeare et Brecht souvent primées dans des festivals italiens. Pour pouvoir tourner le film, il avait obtenu une autorisation spéciale de sortie. La « réinsertion » est réussie, la comédie est ratée.

 

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