«Moonrise Kingdom», l’ouverture américaine du 65e Festival de Cannes

Gilles Jacob avait annoncé le retour du cinéma américain et cela fait longtemps qu’il rêve de faire entrer des comédies dans la compétition. Voilà deux raisons d’ouvrir ce 16 mai au soir le 65e festival avec Moonrise Kingdom du dandy texan Wes Anderson. C’est la force du récit simple du jeune cinéma américain tout en gardant un « french touch » avec les compositions d’Alexandre Desplat et une chanson de Françoise Hardy qui fait une apparition inattendue dans l’histoire.

Une romance féérique de deux enfants qui fuguent, une île de 26 kilomètres de long qui se vit comme un mini-monde, une catastrophe qui nous guette à l’horizon, quoi de plus banal comme histoire ? Mais Moonrise Kingdom, situé au large de la Nouvelle-Angleterre, n’est pas une histoire comme les autres. Wes Anderson a tourné une sorte de comédie tragique qui oscille entre pièce de théâtre et satire sociale filmée, le tout plongé dans les couleurs innocentes et l’innocence cruelle des années 1960.

Sam est scout, mais n’est pas fier de l’être. Il est de loin le plus intelligent et le moins apprécié de la troupe. Il appartient à la tribu des Kaki scouts où règnent la discipline et la cruauté militaire. Tout y est contrôlé, des latrines jusqu’au bouton de la chemise. Les règles remplacent les sentiments. Sam tombe amoureux de Suzy, comme lui douze ans sur le compteur, très mal dans sa peau et mal aimée. Ensemble, les deux enfants, déclaré perturbés par la société, fuguent, à la recherche de leur royaume, la baie Moonrise Kingdom. S’ouvre à nous alors une escapade fantasmagorique à travers d’une île vierge et des images magnifiques.

Il faut les voir avec leur valise jaune, le tourne-disque à piles bleu et un sac à dos se tenir en équilibre pour traverser une rivière. Elle a gardé sa robe rose, ses chaussures de dimanche et ses jumelles autour du cou, lui ne quitte pas son chapeau de castor et ses lunettes en écaille. Sam lui offre des fleurs et transforme un hameçon en boucle d’oreille, elle lui lit des poèmes et des histoires d’aventures.

Wes Anderson et sa planète à part
 

Wes Anderson plante bien le décor de cet univers étrange, loufoque et souvent saugrenu, saute dans le temps, utilise le ralenti pour catapulter ses protagonistes dans leur nouvelle vie. Le personnage précoce et torturé de Sam est merveilleusement interprété par Jared Gilman qui avait 12 ans à l’époque du tournage, comme Kara Hayward qui incarne l’insoutenable légèreté de Suzy. Co-écrit avec Roman, le frère de Sofia et le fils de Francis Ford Coppola, le scénario fait même entrer un narrateur (Bob Balaban) qui nous prévient, avec son air de nain de jardin, de la terrible tempête qui va s’abattre sur l’île.

Le réalisateur de La Famille Tenenbaum (2001) et de Fantastique Mr. Fox (2009) fait cette fois-ci ses gammes cinématographiques avec les jaunes et les verts des années 1960, méticuleusement couplés à la finesse de la musique de Mozart et Schubert, mais aussi d’un Hank Williams, l’icône de la musique country des années 1950. Avec Cold Cold Heart tout est dit, mais pas encore mis en musique. Pour cela Anderson fait appel aux pièces de Benjamin Britten. Ses compositions nous aident à disséquer chaque caractère de l’histoire en quête de la vérité. Comme le violon, la harpe, la flûte ou la grande timbale, chaque personnage joue sa partition…

Rêves et électrochocs

Malgré la mise en scène parfois trop soignée, l’histoire s’avère drôle et cruelle à la fois. La société se résume à une assemblée de faux amis, qui, fort de leur nombre, se transforment en une meute qui traque les déviationnistes. « Quand on est poussé au bout, on est capable de tout ! », s’exclame Suzy. Heureusement, les deux amoureux s’accrochent à leurs rêves qui résisteront au temps et à la terrible tornade, car la société ne leur a rien d’autres à offrir que des électrochocs dans un orphelinat. Et l’arche de Noé semble bien loin.

 

 

Partager :