Mascarades africaines et carnavals antillais

Loin des bikinis du carnaval de Rio et des masques de Venise, le musée Dapper à Paris met en scène Mascarades et Carnavals. Une centaine de masques et costumes traditionnels de l’Afrique subsaharienne côtoient jusqu’au 15 juillet 2012 des œuvres contemporaines du carnaval des Antilles et de la Guyane. Un rencontre incongrue entre le sacré et le divertissement, mais qui se révèle finalement non dénuée de sens.

L’entrée est fulgurante. Une femme vêtue de blanc nettoie et purifie le chemin. Un danseur caché derrière un masque à bandelettes ouvre le bal et joue le fouettard du carnaval antillais. Une vidéo qui rappelle le renouveau du carnaval identitaire en Guadeloupe, un « dékatman-mas » mis en scène par le groupe Voukoum. « Ce masque est fait de bandelettes de papiers découpés, rappelle Christiane Falgayrettes-Leveau, la commissaire de l’exposition. C’est du papier journal, cela veut dire qu’il y a des informations dessus. Donc on imagine ce qui fait le quotidien des individus sur un objet qui devient surréaliste, qui devient de l’art contemporain. Il y a un fouet qui attire l’attention, c’est aussi le fouet avec lequel on punissait les esclaves. Tout cela est un symbole. Il y a un costume qui est léger, mais qui est chargé d’histoire. »

Le carnaval, c’est la rupture avec le quotidien, mais c’est aussi le moment pour rappeler la cohésion sociale et montrer les racines en commun. « Des racines qui viennent d'Afrique avec les premiers habitants des Caraïbes, les Amérindiens qui ont été décimés. Les premiers propriétaires de la terre sur laquelle travaillaient les esclaves, c’étaient les Français, les Anglais, les Portugais, les Espagnols. Tout cela fait aussi partie de leur culture. Il y a aussi l’immigration, comme les Brésiliens, les Asiatiques, les Chinois et surtout les Indiens, il y a une forte arrivée des groupes à la fin du 19e siècle, après l’abolition de l’esclavage.

Les masques en action
 

Après une série de photos de Zak Ové évoquant des figures incontournables du carnaval de Trinidad (avec l’icône Le diable est blanc), le parcours enchaîne avec les mascarades africaines et montre les masques en action : En Angola, il y a le mystérieux masque Ndunga à double visage et à plumes, censé maintenir l’ordre, punir les voleurs et les assassins. Venu du Cameroun, le masque en bois Kungan gonfle ses joues à l’extrême. Dans une vidéo sur le roi des Mankon, on observe la scène où le roi mélange dans sa bouche sa salive et le vin de raphia avant de cracher le tout sur ses sujets comme signe de fertilité et richesse. Au Congo, le masque Mukish, tout en fibres végétales sombres, était porté par les hommes ayant abattu un ennemi dans des conditions cruelles. Quelle idée de faire cohabiter le sacré des masques africains avec le divertissement du carnaval caribéen dans une exposition. Une contradiction ?

« Non, parce que c’est lié. Que ce soit pour les masques ou pour le carnaval, explique Christiane Falgayrettes-Leveau. Ils ne dissocient pas la fête proprement dite, ni cette dimension spirituelle. La fête n’est pas gratuite. Quand on prend l’exemple de la Gay Pride en Europe. Il y a la musique et sur les chars il y a des gens qui sont costumés. Mais derrière il y a aussi des revendications très fortes contre l'homophobie ou des pratiques intolérantes d’une société. Et pourtant, ils font la fête. Elle réunit les gens, mais elle parle aussi de ce qu’ils sont. »
 
« L'Afrique n'est qu'une partie de  leur culture »


Le carnaval antillais est l’expression de la pluralité des cultures qui constituent les Antillais. D’origine européenne, l’ouverture du carnaval antillais se fait avec des gestes rituels très africains, avec des marmites dans lesquelles on fait bouillir des feuilles, où on va mettre des ossements de bœuf, de cabris. Et on va bénir l’espace. D’autres gestes appartiennent au monde amérindien : les carnavaliers passent des graines de roucou sur leur peau qui devient rouge. Le carnaval permet-il de trouver une nouvelle unité culturelle ? « On ne retrouve pas une unité dans les cultures antillaises. C’est leur passé. Et leur passé a évolué, il y a d’autres cultures qui se sont greffées. L’Afrique n’est qu’une partie de leur culture, la culture européenne est très importante. C’est un mélange de toutes ces cultures qui font la spécificité et l’originalité de ce métissage, de ce mélange des sociétés caribéennes. »
 

 

Mascarades et Carnavals, jusqu’au 15 juillet 2012 au Musée Dapper, espace d’arts et de cultures pour l’Afrique, les Caraïbes et leurs diasporas.

 

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